RETROSPECTIVE
2022, une année sous le signe des tempêtes
Alors qu'il est temps de voguer vers les eaux inconnues de 2023, une rétrospective des événements ayant façonné les 12 mois de l'année 2022 s'impose.
Si le secteur de la boulangerie-pâtisserie avait passé la période de crise sanitaire sans connaître de choc majeur, et ce grâce à l'engagement de l'ensemble des acteurs de la filière, 2022 devait offrir la perspective d'un retour à la croissance et à une exploitation apaisée des entreprises. Un espoir vite dissipé par la succession des crises qui ont traversé l'année et auront des répercussions durables sur la filière et bien au delà.
Craintes sur le blé et la farine
Le déclenchement du conflit ukrainien a eu un impact direct sur les cours du blé et des céréales : privé d'un véritable "grenier à blé", le marché s'est trouvé considérablement perturbé. Même si la France est largement auto-suffisante en grains, le prix de la tonne de blé a atteint des sommets, dépassant par moment les 400 euros. Une situation qui ne profitait ni aux agriculteurs, qui avaient à cette période vendu l'essentiel de leur récolte, ni aux meuniers... avec pour ces derniers une contraction inédite de leurs marges, imposant de multiples hausses chez leurs clients artisans comme industriels. Si depuis le cours est redescendu aux alentours de 300 euros/tonne, la situation n'en demeure pas moins tendue du fait des autres de l'augmentation des autres postes de coût en meunerie (énergie, masse salariale, transport, conditionnement...).
Au cours de l'été, l'importante sécheresse avait fait craindre le pire en terme de rendements. De nombreux agriculteurs voyaient en effet leurs plantations dépérir par manque d'eau. Malgré tout, la qualité a été au rendez-vous (avec un taux de protéines moyen de 11,4%, plus faible dans les régions aux rendements élevés comme le Nord de la France et légèrement en dessous de la moyenne des cinq dernières années (11,9 %)) et un volume final de 34 millions de tonnes. Ce résultat positif permet d'assurer la souveraineté alimentaire du pays tout en questionnant sur le nécessité de réformer la gestion de l'eau dans les années à venir, afin de préserver l'agriculture face au changement climatique.
Des difficultés de recrutement toujours marquées
Réduction des gammes ou des horaires d'ouverture, multiplication des canaux de recrutement, fatigue des équipes sous-dimensionnées face à l'activité... le poids des difficultés de recrutement s'est accentué pour les entreprises artisanales. Cette désertion d'une partie des profils, initiée lors de la période de crise sanitaire, touche de plein fouets les métiers de l'alimentaire, restauration en tête. La boulangerie n'est pas épargnée, après plus de 21 000 postes vacants selon la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF). Pour renforcer l'attractivité de la filière, de multiples initiatives sont mises en place : formation continue, nouvelles méthodes de management, hausse des salaires... autant d'outils qui mettent du temps à se déployer et à prouver leurs effets, alors même que la situation est complexe dans l'immédiat.
La vente reste le secteur où les recrutements sont les plus délicats, à la fois de par la volatilité des profils et l'image dégradée du poste. Là encore, la montée en compétence et la recherche d'un public plus large s'impose pour répondre durablement à ce besoin de main d'oeuvre.
L'inflation bouscule les habitudes en boutique et au laboratoire
Le mot est revenu avec vigueur dans le quotidien de millions de Français : inflation. Particulièrement marquée sur les produits alimentaires (elle atteindrait 10% sur les produits de grande consommation selon les instituts NielsenIQ et IRI, tandis que l'INSEE a mesuré 7% pour l'ensemble de l'économie française), elle impose de nouveaux arbitrages aussi bien chez les professionnels que les consommateurs. Ainsi, la "descente en gamme" s'est développée, avec une montée en puissance de l'offre premier prix.
De nombreux artisans boulangers ont revu leur politique d'approvisionnement pour se tourner vers des références moins coûteuses, remplaçant par exemple un beurre AOP par une référence d'entrée de gamme. Les matières grasses ne sont pas le seul poste de coût concerné : sucre, sel, levure, fruits et légumes, ... une majeure partie des composants transformés au sein d'un laboratoire de boulangerie-pâtisserie se négocie à présent à des niveaux de prix élévés. Dès lors, l'augmentation des prix en boutique est devenue indispensable, avec des baguettes de Tradition dépassant fréquemment les 1,20€ voire 1,30€ pièce. Une logique tarifaire qui concerne autant le pain, la viennoiserie, la pâtisserie que l'offre de snacking, avec le risque d'une déperdition de clientèle dès lors qu'un "seuil d'acceptabilité" est franchi. Ces clients se tournent alors vers d'autres segments d'offre, qu'il s'agisse de la grande distribution ou de l'industrie. Un ralentissement de l'activité, déjà partiellement ressenti en fin d'année, est à craindre dès début 2023.
Energie : un choc sans précédent, remettant en cause l'existence d'une partie des boulangeries artisanales
Si tous les sujets précédents ont occupé les esprits des chefs d'entreprise, ils ont rapidement été balayés dès l'automne par la montée en puissance des craintes au sujet de l'énergie. Avec des factures multipliées par 4 à 10, les artisans boulangers ne peuvent plus faire face et se trouvent alors privés de perspectives, sinon celle de mettre fin à leur activité. Pour y répondre, les mesures gouvernementales telles que l'amortisseur électricité ou le guichet électricité destiné aux PME, permettant d'obtenir une remise allant jusqu'à 35%. Autant de dispositifs jugés insuffisants pour une partie de la profession, qui souhaite aller plus loin dans la mobilisation. Le bouclier énergétique ne couvrant que les entreprises équipées d'une puissance souscrite inférieure à 36kVA, près de 80% des artisans pourraient être concernés par ce choc sans précédent, pouvant amener à une transformation profonde du paysage boulanger français.
Les meuniers sont également affectés par ces problématiques, leurs outils de production étant énergivores par conception. Pour faire face à la hausse des coûts de production, de nouvelles révisions tarifaires sur la farine sont à attendre à brève échéance.
La boulangerie, un marché toujours plus polarisé
Sous l'effet de la pression exercée par l'ensemble des problématiques évoquées précédemment, la boulangerie de taille moyenne, située entre 300 000€ et 1 000 000€ de chiffre d'affaires annuel, est la plus exposée et pourrait, à terme, disparaître. La montée en puissance des réseaux tels qu'Ange, Feuillette, Marie Blachère, Louise... a continué malgré cet environnement perturbé, et de nouvelles marques ont l'ambition de rejoindre leurs rangs à brève échéance. Grâce à une structure bien établie et à une meilleure maîtrise des coûts, de telles entités sont plus à même de faire face à des crises telles que celles traversées en 2022. De l'autre côté du spectre, la boulangerie de très petite taille, avec parfois des horaires d'ouverture très réduits ainsi qu'une masse salariale légère, se révèle plus résiliente et apte à donner du sens aux artisans ainsi qu'à leur clientèle. La polarisation du marché de la boulangerie pourrait donc s'accentuer nettement en 2023, avec une possible évolution du modèle boulanger français. Face aux contraintes énergétiques, le grand nombre de petits fournils pourrait paraître dépassé et pousser une mutation vers un fonctionnement tel que celui développé en Europe de l'Est, avec des outils de production centralisés approvisionnant des points de vente aux installations réduites.