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CONJONCTURE

Forte inflation : l'heure de l'exemplarité pour l'artisanat

Publié le 15/11/2022 |

Alors que l'inflation se maintient à un niveau élevé - 6,2% en octobre 2022 selon l'INSEE, après 5,6% en septembre -, l'évolution de la consommation dans les prochains mois est soumise à de grandes incertitudes. Il est à craindre que ménages réduisent leurs dépenses en contractant leurs paniers ainsi qu'en limitant leurs visites au sein des commerces. Autre outil à leur disposition : le "trading down", à savoir la réorientation de ses achats vers un segment d'offre inférieur, comme en témoigne le succès rencontré par les offres discount ainsi que les produits d'entrée de gamme en grande distribution. Les artisans boulangers-pâtissiers sont concernés par une telle évolution, avec le risque de voir leur clientèle se tourner durablement vers du pain, de la viennoiserie ou des pâtisseries issus d'autres filières.

Face à ce risque, c'est une logique d'exemplarité qui doit se mettre en place : cette conjoncture peut être l'opportunité d'impulser un sursaut qualitatif à l'échelle de la profession, à la fois pour faire face aux enjeux sociétaux mais aussi et surtout pour conserver la fidélité de la clientèle. Il s'agit non seulement d'être performant sur le produit, mais également sur le service et la tenue du point de vente. La revendication de l'artisanat n'est plus suffisante pour se différencier : c'est un fait maison "augmenté" qui se dessine, subtile association du savoir-faire et du faire-savoir.

Faire sortir les boulangers du fournil, pour mieux comprendre leurs clients et adapter leur offre : un enjeu majeur de survie de la profession à une époque où la consommation de pain s'est effondrée, à peine 105g par jour et par personne selon l'étude QualiQuanti menée pour la Fédération des Entreprises de Boulangerie (FEB) en 2021. Plutôt qu'une gamme surabondante, les clients recherchent des produits de bonne conservation (limitant ainsi le gaspillage alimentaire), au goût authentique et issus de filières locales/vertueuses. Cela implique un effort particulier quant aux méthodes de fabrication et à la sélection des farines. Même si la baguette, qu'elle soit de Tradition ou de pain courant, est un marqueur fort de l'image-prix d'une gamme de boulangerie et demeure un produit aussi classique qu'accessible, ce sont aujourd'hui des références travaillées sur de longues fermentations, souvent à base de levain naturel, qui portent l'image d'un pain de qualité, aussi nourrissant que durable. De nombreuses entreprises ont basé leur succès sur de tels choix : Antoinette ou partisan boulanger à Lyon, Graine, Ten Belles Bread, Miettes, Archibald... à Paris, ... autant de noms qui partagent une approche commune d'un pain naturel, avec des références maîtrisées et porteuses d'une identité forte.
Le renouvellement de l'offre est également indispensable pour entretenir l'intérêt de la clientèle : le pain peut être un excellent support de créativité, en associant des farines variées ainsi que des ingrédients parfumés. Certains en ont fait leur marque de fabrique : Xavier, chef boulanger de la Boulangerie Utopie (75), signe avec son équipe une nouvelle création chaque week-end, issue de leurs inspirations et de l'utilisation de produits de saison. Une dynamique qui est devenue un puissant outil de communication pour l'entreprise.

Autre sujet naissant en boulangerie : la nutrition. Les préoccupations marquées en terme de santé trouvent un écho particulier dans le pain, qui compte parmi les produits de base de l'alimentation. Ainsi, plusieurs professionnels militent pour l'amélioration de la promesse nutritionnelle, comme les Ambassadeurs du Pain au travers de la méthode Respectus Panis®. Il ne suffit plus de fabriquer du pain complet, mais plutôt de développer des références aussi savoureuses que nourissantes.

En pâtisserie ou en viennoiserie, la revendication du fait maison n'est plus suffisante pour marquer une vraie différence : l'augmentation des prix génère aussi une montée en puissance de l'exigence des consommateurs. Dès lors, les produits doivent être au rendez-vous du goût et des textures, ce qui implique là encore de développer des gammes rationnelles, issues de recettes éprouvées. 

Si de nombreuses histoires se vivent et s'écrivent chaque jour en production, la boutique doit être en mesure de les raconter. Ainsi, la formation des équipes de vente, dont la mission de conseil et d'accompagnement du client ne doit plus être négligée, est un effort central pour garantir une expérience d'achat qualitative. Si les tarifs augmentent, elles doivent se faire le relai d'un effort de pédagogie diffusé au sein de l'entreprise.
Plus qu’un commerce de proximité, la boulangerie peut devenir un lieu singulier, exprimant le savoir-faire et l’identité de son propriétaire, tout en proposant de multiples services et aspérités qui l’intégreront dans le quotidien des consommateurs. L’entrepreneur et expert en marketing Seth Godin avait théorisé la nécessité d’être remarquable au sein de son marché par le concept de la Vache pourpre (The Purple Cow en édition anglaise) : parmi un troupeau de vaches identiques, seule celle qui présente une couleur atypique se fait remarquer.
Être un commerçant moderne passe par le développement d’une nouvelle dimension de la relation entretenue avec ses clients : il ne s’agit plus uniquement de vendre des produits, mais également d’offrir une expérience et des services. En boulangerie, ils peuvent s’inscrire dans le prolongement des produits fabriqués par l’artisan : prêt de grille-pain ou de couteau à pain (sous remise de caution), développement et distribution de recettes autour du pain (tartines, sandwiches, astuces anti-gaspillage…), animations en boutique autour d’une thématique (invitation d’un producteur, animation « mains à la pâte » pour petits et grands…), les idées ne manquent pas et contribueront à renforcer le caractère de « lieu de vie » du point de vente.

Enfin, la fraicheur des produits s'impose comme un argument de vente indispensable pour continuer à développer son activité : elle tient à la sélection de leurs matières premières mais également à la transparence offerte sur leur processus de transformation. Si la doctrine a longtemps été de chasser les "ventes perdues" en produisant plus que nécessaire pour éviter les ruptures, la lutte contre le gaspillage alimentaire et la volonté d'offrir des produits aux parfaites qualités organoleptiques doit à présent s'imposer. Pour renforcer cet aspect de fraicheur, des rendez-vous peuvent être donnés en boutique pour certains produits : fournée de croissants chauds au goûter, baguettes fraiches à la sortie des bureaux, ... autant de moments privilégiés sur lesquels il est indispensable d'être présent.

Cette logique d'exemplarité est un outil au service des clients mais également des collaborateurs : elle donne un sens à l'engagement de chacun et créé un véritable projet d'entreprise, qui fédère et incite chacun à donner le meilleur pour assurer la réussite de l'entreprise. En retour, elle doit être tout aussi exemplaire dans sa gestion des ressources humaines, en offrant des perspectives d'évolution, en formant de façon continue et en offrant des conditions de travail propices à l'épanouissement des équipes.