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INGREDIENTS

Les enzymes, amies ou ennemies du pain ?

Naturellement présentes dans la farine, les enzymes participent à la fabrication de pain depuis des millénaires. Leur maîtrise est cependant bien plus récente, puisque la compréhension de ces protéines ne remonte qu'au XXè siècle. Depuis, des enzymes ajoutées ont pris place dans les différentes références à disposition des boulangers, y compris dans la fameuse farine de Tradition française, où l'alpha-amylase fongique est autorisé en sa qualité d'auxiliaire technologique (et non d'améliorant). Ce dernier est utilisé pour activer la fermentation dans les cas où la quantité de sucres directement fermentescibles présente dans la farine est insuffisante. 

Des apports techniques en voie d'exploration

Les terrains d'application des enzymes en panification sont aussi nombreux que variés. Lors des dernières Journées Techniques des Industries Céréalières (JTIC), une conférence abordait l'utilisation de ces outils pour remplacer le gluten sec ajouté dans les formulations employant de la farine de blé, notamment dans le cadre de la réalisation de pains courants ou de pains "spéciaux" à base de farines composées, avec des diagrammes correspondant aux pains français. Sur scène, Thierry Nicolaï (AB Mauri France) et Michel Bilheude (Le Labo Meunier) présentaient l'état des connaissances sur le sujet et leurs retours d'expérience respectifs. Cette alternative répond à la volonté exprimée par les consommateurs de se tourner vers des produits au taux de gluten plus faible, pouvant offrir une meilleure digestibilité.
Dans les fournils, l'emploi des enzymes pourrait également être une source d'économies considérable : Banette a récemment dévoilé un nouveau produit, baptisé Opti'Cuisson, destiné à réduire de 20% les temps de cuisson des pains (ou baisser la température du four) sans altérer leurs qualités organoleptiques ou leur coloration. Au coeur de cet améliorant se trouve une enzyme ayant la capacité de capter l'eau présente dans la pâte, ce qui signifie mécaniquement que l'évaporation nécessaire pour obtenir un produit stable et "fini", réalisée par la source de chaleur, sera moindre. Au final, le boulanger serait en capacité de réaliser 7 cuissons en 3h, au lieu de 6 : de quoi améliorer sa productivité de façon indéniable.

Le caractère "natif" des farines remis en question

En marge de cette volonté d'utiliser les enzymes, des boulangers réclament des farines dites "natives", n'étant composées que de blé. L'offre sur ce segment s'est développée, portée par des meuniers désireux de se différencier par leur capacité à proposer des matières premières naturelles. La véracité de ces compositions est remise en cause par le Meilleur Ouvrier de France Boulanger Amandio Pimenta, membre de l'association des Ambassadeurs du Pain et connu pour son engagement au service de la transition de la filière vers des méthodes plus vertueuses et respectueuses du vivant... tout autant que pour ses prises de position parfois tranchées. Au travers d'une publication sur le réseau social Facebook, le boulanger pointe du doigt la "désinformation" menée au sein de la filière : du fait de leur classification en tant qu'auxiliaires de panification (et non pas additifs), les enzymes ne feraient l'objet d'aucune obligation d'affichage dans les compositions, ce qui inciterait certains meuniers à les masquer volontairement. Ces mêmes entreprises seraient, en définitive, en capacité d'influer sur les concours grâce à des farines "de compétition", prenant ainsi le pas sur la maîtrise de la fermentation et la valorisation de la qualité des céréales. Dans le prolongement de ces affirmations, Amandio Pimenta n'hésite pas à avancer qu'il serait impossible de mener une fermentation en froid à 2 ou 4 degrés sur des farines de Tradition excluant les enzymes tels que les alpha-amylases. Pour lui, ces ajouts pourraient engendrer de potentiels problèmes de santé publique, de par l'absence de recul sur les intéractions possibles entre ces protéines ajoutées.

Si la transparence et la sincérité des acteurs de la filière sont deux éléments indispensables à la préservation de la confiance, aussi bien chez les boulangers que leurs propres clients, toute forme de psychose et de doute vis à vis des matières premières pourrait avoir des effets délétères au sein d'une profession d'ores et déjà en proie à des difficultés majeures... sans pour autant négliger les effets potentiels de toute forme d'ajout dans un produit initialement "simple" et naturel tel que le pain, qu'il s'agisse d'enzymes disparaissant à la cuisson ou d'autres types d'ingrédients.