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INFLATION

Le pain artisanal, un produit de luxe en devenir ?

Publié le 05/10/2022 |

1,50€, c'est le prix que pourrait coûter la baguette de Tradition chez de nombreux artisans dans les prochaines semaines. Un niveau de tarif repris très largement dans les médias grand public, témoignant de la nécessité de répercuter les hausses subies sur les factures d'énergie.

Le bouclier tarifaire annoncé par le Ministre de l'Economie Bruno Le Maire devait couvrir "les plus petites entreprises, celles qui ont un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros et qui ont moins de 10 salariés" avec des "tarifs régulés de vente" dont la hausse sera "limitée à 15% l'an prochain". Seulement, le détail de la mesure indique que la puissance énergétique souscrite par la structure doit être inférieure à 36 kilovoltampères (KVA)... ce qui exclut de fait un grand nombre de boulangeries, dont l'activité consomme beaucoup d'énergie (four, pétrins, chambres de fermentation, ... sont raccordés au réseau électrique). Selon Dominique Anract, Président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), une entreprise artisanale de taille moyenne (6 à 8 salariés) consommerait plutôt 72 KVA, soit le double du plafond. Ainsi, près de 80% des boulangeries de moins de 10 salariés seraient exclues du dispositif, avec de fortes conséquences pour ces dernières.

Pour les artisans devant renégocier leurs contrats actuellement, sans bouclier tarifaire, les factures seraient alors multiplées par trois ou quatre, sans compter le fait que de nombreux fournisseurs d'énergie sont peu enclins à accepter de nouveaux clients. Si aucune mesure supplémentaire n'était mise en place, des hausses de prix en boutique -proches de 30%- seront alors inévitables... avec le risque de perdre une partie de la clientèle, considérant alors le pain artisanal comme un véritable produit de luxe. Un fait renforcé par le risque de défaillances d'entreprises dans les mois à venir, réduisant le nombre de boulangeries sur le territoire et donc la rareté du produit, ne restant plus qu'une offre développée par d'autres acteurs (réseaux de boulangerie, grande distribution, industrie).

La perspective est inquiétante mais n'est cependant pas une fatalité. Plusieurs outils existent pour accompagner le secteur artisanal, en plus du bouclier dont les modalités pourraient être revues, à l'image d'une aide pour les entreprises qui dépensent plus de 3% de leur chiffre d'affaires en énergie et dont le résultat est négatif.
Au delà de cet aspect, c'est la nécessité de rentabilité pour l'ensemble des activités qui est remise en lumière : le pain a longtemps supporté les prix de vente trop faibles des produits de viennoiserie ou de pâtisserie, qui doivent être justement valorisés, à la fois de par leur coût matière et la main d'oeuvre qu'ils nécessitent. Cela pose également la question de la pérennité du modèle dominant de boulangerie, dont le caractère énergivore est amplifié par les larges gammes de produit et les amplitudes horaires d'ouverture. Après de nombreuses années d'un développement porté par la diversification, l'énergie pourrait marquer un coup d'arrêt brûtal à la tendance. L'enjeu étant de préserver le lien avec la clientèle et le caractère éminamment culturel de la boulangerie à la française.