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CONJONCTURE

La boulangerie artisanale est-elle morte ?

Publié le 16/09/2022 |

Les avis de décès portant sur le métier d'artisan boulanger-pâtissier se sont multipliés sur les réseaux sociaux ces derniers jours, sous l'impulsion de professionnels et de membres de l'écosystème. Certains en appellent à la responsabilité de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française, tandis que d'autres formulent leur désespoir et demandent de l'aide.
Si la situation à la fois complexe et difficile, de par le nombre et la récurrence des crises traversées par la filière artisanale, des solutions existent et ces événements peuvent accélérer des transformations montantes du métier.

La hausse du prix des matières premières et du coût de l'énergie sont deux sujets majeurs en fabrication, du fait de leur impact sur la rentabilité immédiate des produits vendus en boutique. Les incertitudes qui planent sur le secteur énergétique sont loin de concerner les seuls boulangers-pâtissiers, et les pouvoirs publics ont commencé à travailler sur des mesures visant à limiter l'impact de cette conjoncture sur les entreprises. Pour autant, la sobriété et l'adaptation des productions seront incontournables dans les années à venir, à la fois pour mieux préserver les ressources naturelles mais aussi pour répondre aux attentes sociétales, les consommateurs demandant toujours plus d'engagement de la part de leurs commerçants.
Cet engagement se porte aussi vers un plus fort ancrage des entreprises dans leur environnement local, attente d'autant plus marquée quand il s'agit d'artisans. Dès lors, les approvisionnements en circuit-court s'imposent comme une évolution naturelle des achats en boulangerie, la réduction du nombre d'intermédiaires participant de plus à contenir les effets de l'inflation.
La fin de l'abondance formulée par le Président de la République pourrait se concrétiser par une rationalisation des gammes, permettant de limiter le gaspillage alimentaire et facilitant le travail des équipes. Cet effort de simplication se poursuit dans les recettes, recentrées sur l'essentiel et supprimant les éléments ou gestes superflus (décors, glaçages, ...).

Organiser sa production devient nécessaire pour mettre en oeuvre les bonnes ressources au bon moment : avec une meilleure gestion des cuissons et fabrications, ainsi que des plannings du personnel, l'entreprise accroît son efficacité et donc sa rentabilité. Malgré tout, il est indispensable de répercuter les hausses de prix en boutique, même si certains produits emblématiques (baguette, croissant...) sont très observés et peuvent faire l'objet d'un traitement particulier : l'enjeu est de préserver l'"image-prix" de la boulangerie artisanale, un terme bien connu dans la distribution. C'est cette notion qui définit la perception du caractère accessible ou non d'une offre chez les clients.

Malgré les incertitudes, l'investissement demeure un outil précieux pour aborder l'avenir avec plus de sérénité. Les membres de l'écosystème de la boulangerie-pâtisserie sont engagés de longue date pour développer des solutions moins énergivores, plus ergonomiques et permettant ainsi d'offrir un outil de travail sûr et adapté : fours, enfourneurs, équipements de froid (chambres de fermentation, froid négatif, ...), éclairages... des transformations peuvent être menées aussi bien au fournil qu'en magasin. Avec l'apport des outils digitaux, l'artisan dispose ainsi d'une vision plus fine et continue de la situation de son activité, de l'état de son laboratoire... pour agir avec des informations aussi précises que précieuses.

Rémunérer justement son personnel est essentiel mais n'est pas le seul levier à activer pour répondre aux tensions observées sur le marché de l'emploi. Plus que jamais, l'artisan doit devenir un véritable manager, capable de fédérer autour lui une équipe en définissant un projet et une direction claire. La formation, initiale et continue, tient une place importante dans cette dynamique : non seulement elle participe à améliorer collectivement la qualité des profils, mais elle fidélise les collaborateurs tout en leur permettant de s'épanouir dans l'entreprise. Considérer l'humain comme un problème serait la pire des postures pour assurer la transmission du savoir-faire et la pérennité des boulangeries-pâtisseries.

Enfin, le développement de nouveaux acteurs dans le secteur de la boulangerie est interprêté comme de la concurrence déloyale par certains artisans, de par leurs importantes structures et leurs choix en terme de production ou de forme juridique. De telles entreprises se développent car elles répondent aux besoins et attentes d'une partie des consommateurs, aussi bien en terme de prix, de praticité, d'offre ou même de service. Par le passé, la concurrence a déjà participé à pousser l'artisanat à remettre en question ses pratiques, avec notamment l'élévation du niveau de qualité sur le pain quand la grande distribution s'est positionné sur le marché ou les premières grandes marques de boulangerie sont apparues. Une dynamique similaire pourrait aujourd'hui se mettre en oeuvre, avec de nouvelles formes de boulangerie ou l'amélioration de la qualité du service et du niveau d'engagement partagé en boutique. Les clients recherchent à présent plus qu'un produit mais une véritable expérience qui renforcera leur relation avec l'artisan ainsi que leur disposition à payer le juste prix.
L'expérience de plusieurs réseaux de boulangerie et d'initiatives locales nous montre qu'il est possible de replacer le pain au centre du village... commercial, en développant des lieux hybrides, regroupant plusieurs activités (primeur, boucherie, ...) et devenant ainsi de véritables pôles d'attractivité. Cela permet à la boulangerie de reprendre sa place dans le paysage gastronomique, laquelle a été remise en question par l'évolution des habitudes de consommation.

Plutôt qu'un avis de décès -la profession demeure attractive, comme en témoignent les chiffres de l'apprentissage-, c'est la mobilisation de chaque chef d'entreprise qu'il faut stimuler et entretenir. Si le rôle de représentation de la Confédération est et restera indispensable, les boulangers peuvent devenir acteurs de leur destin, pour faire à nouveau de leurs boutiques et fournils des lieux de création, de partage, d'expression de la diversité et de la singularité de chaque artisan... la meilleure façon d'être vivants.