TENDANCES
Faut-il vraiment dépoussiérer la boulangerie ?
"Boulangerie vieillissante", "renouveler les codes d'un métier traditionnel", ... au fil du temps, les positionnements affirmés par les nouveaux acteurs de boulangerie-pâtisserie sont devenus de véritables ritournelles, multipliant les critiques portées vis à vis des artisans traditionnels, qui ne répondraient pas, ou mal, aux attentes des consommateurs. Si la filière a longtemps été portée par ses traditions plus que par une volonté de changement, ces dix dernières années ont marqué un véritable tournant dans l'évolution de l'offre et du visage des boulangeries françaises. De quoi remettre en question la nécessité de "dépoussiérer" la filière qui, si elle dispose de nombreuses pistes de progrès, a démontré ses capacités d'adaptation face à des périodes troublées.
Une stratégie marketing visant à dénigrer ses confrères ou concurrents est-elle est une bonne stratégie ? Au vu du succès rencontré par ces communicants sur les réseaux sociaux ou dans les médias grand public, la réponse pourrait être oui. Ce serait négliger le travail réalisé par des boulangers de métier, impliqués de longue date dans la bonne marche de leurs entreprises autant que dans la transmission du savoir-faire artisanal. Les reproches qui leur sont faits sont nombreux, et parfois virulents : industrialisation des procédés, sélection de farines de mauvaise qualité, boutiques à l'aspect dépassé... tous les aspects d'une entreprise de boulangerie se trouvent passés sous l'exigeant crible de la conscience, du "bon goût" et d'une forte d'orthodoxie de la fabrication de pain. Cette volonté de casser les codes trouve un écho favorable auprès d'une partie des consommateurs, en quête d'approches plus responsables, respectueuses des ressources naturelles, de leur santé... ou s'inscrivant dans des tendances dictées par des influenceurs très présents sur les supports digitaux. Dès lors, l'objectif n'est plus de faire correctement son métier, de servir ses clients, mais de développer des aspérités permettant de se différencier.
Créer des marques et plus seulement des boulangeries
Les marques boulangères, que l'on pensait réservées aux seuls réseaux nationaux, se sont ainsi développées. Elles prennent progressivement de l'ampleur et affirment leurs ambitions : à l'inverse d'un artisan traditionnel pour qui une installation est le projet d'une vie, l'objectif est de suivre un plan de marche et de développement où les ouvertures sont aussi nombreuses que rapprochées, ce qui permettrait de faire croître autant la visibilité que la valeur de la marque. En clair, dépoussiérer le métier, c'est considérer que la seule voie valable de développement est la concentration des emplacements "premium" entre les mains d'un petit nombre d'individus, tout en négligeant les secteurs plus difficiles à adresser que sont les zones rurales ou les banlieues.
D'autres artisans de cette mouvance visant à "renverser la table" portent des valeurs très marquées sur les approvisionnements, mettant en avant une proximité marquée avec le monde agricole en travaillant en circuit-court (farines issues de paysans-meuniers, fruits et légumes provenant d'exploitations locales...) ainsi que le recours à des variétés de blé spécifiques, dites "anciennes" ou "paysannes", en allant jusqu'à mettre en avant des qualités pointues sur leur digestibilité ou leurs apports en nutriments pour certains. Dans les deux cas, cela renvoie l'artisan "traditionnel" à sa propre condition, avec un fort sentiment de déclassement.
Des mouvements bien engagés, sans effort de communication spécifique
Pourtant, des boulangers installés depuis de nombreuses années et de nouvelles générations ont prouvé leur capacité à faire muter leurs approches respectives, sans pour autant s'inscrire en rupture totale avec les codes de la filière. La montée en puissance de nouvelles gammes de produits, le snacking en tête, a été l'un des marqueurs de cette évolution et d'une ferme volonté de conserver le lien avec la clientèle. La concurrence des réseaux de boulangerie les a également poussés à améliorer la qualité de leur offre, avec le retour massif du "fait maison", des farines "brutes" et des longues fermentations, qui devront être complétés par une approche cohérente sur l'aspect service. Aujourd'hui, cette dynamique se prolonge avec le développement de l'offre "coffee-shop", avec des boissons chaudes plus élaborées et qualitatives, le renouvellement des espaces de vente ou encore le soin porté à la communication. D'autres tendances se profilent pour les années à venir, comme un intérêt croissant pour les sujets liés à la nutrition. Les jeunes boulangers reprenant des entreprises ou créant leurs propres structures s'inscrivent avec force dans cette dynamique, en associant exigence, conscience sociétale et environnementale, savoir-faire et proximité avec leur environnement proche... sans pour autant affirmer de volonté ostentatoire de bousculer les lignes. Une poignante démonstration de résilience autant que de capacité à imaginer l'avenir de la filière... chassant ainsi toute poussière dans un processus fluide et naturel, comme l'ont fait de nombreux artisans avant eux.