Epiphanie : fin d'une période royale ?

Si le mois de janvier était jusqu'alors une période d'activité rentable et particulièrement prisée par les artisans boulangers, c'est bien moins vrai aujourd'hui. Cela s'explique par plusieurs facteurs : la galette des Rois coûte en effet plus cher à produire, sous l'effet de la hausse du prix des matières premières.

Le beurre, prépondant dans cette recette faite de feuilletage et de frangipane (ou de crème d'amandes), a atteint des tarifs inégalés : près de 10 euros/kg pour certaines références en AOP, particulièrement prisées par les artisans boulangers français, tandis que d'autres références moins reconnues se négocient au dessus des 7 euros le kilogramme. Le marché des fruits secs a connu des variations similaires, avec une amande toujours plus recherchée et coûteuse. Le potentiel d'augmentation du prix de vente reste limité, car la clientèle est sensible à son pouvoir d'achat et se révèle être de plus en plus volatile : dès lors, hors de questions pour les boulangers de prendre le risque de voir les consommateurs se tourner vers une offre moins chère du fait d'une hausse trop importante. La marge, qui était confortable dans le passé pour les artisans, se trouve fortement dégradée.
Fait plus rare, ce sont également les fèves et les emballages qui ont été des sujets d'inquiétude, la pandémie ayant profondément désorganisé les lignes de production et circuits de distribution.

Le COVID-19 n'a pas eu qu'un impact logistique : il a aussi imposé le télétravail pour de nombreuses entreprises, en plus d'annuler des événements publics ou festifs. Dès lors, les occasions de partager le fameux gâteau royal se sont réduites, tout comme la vie dans certaines zones de chalandise, à l'image des quartiers d'affaires où sont implantés certains boulangers présents dans de grandes métropoles. Le président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), Dominique Anract, estime qu'il se serait vendu 10 à 15% de galettes en moins qu'en 2020 sous l'effet de ce contexte, dont les conséquences ont été moins marquées pour les artisans situés en zone rurale, voire même positives pour certains : des urbains se sont "mis au vert" de façon durable, ce qui a un impact positif au sein des territoires. 

Si la perspective d'une amélioration des conditions sanitaires est à espérer dans les mois à venir, c'est bien moins le cas sur le sujet épineux des coûts de fabrication : non seulement les matières premières ou l'énergie seront des postes de charge plus marqués, mais la main d'oeuvre qualifiée aura tendance à se faire plus rare : 21000 postes seraient ainsi à pourvoir en boulangerie-pâtisserie début 2022, sans perspective d'amélioration rapide. Le savoir-faire du tourier, particulièrement crucial pour la fabrication des galettes des Rois, se fait également de plus en plus rare. Autant de sujets d'inquiétude qui nous laissent présager, dans les années à venir, la fin de la période royale qu'était l'Epiphanie.