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PROSPECTIVE

Consommera-t-on encore du pain (de qualité) en 2050 ?

Publié le 25/08/2023 |

L'expression "long comme un jour sans pain" fait un lien entre le passé, où cet aliment était la base de la ration des foyers les plus modestes, et les difficultés qui attendent nos sociétés modernes dans le futur. La répétition des épisodes caniculaires rend le travail de toute la filière sans cesse plus difficile : les rendements de la moisson ont, une fois encore, été affectés par la chaleur dans le Sud de la France. Le Nord du pays, et plus particulièrement le Nord-Ouest, a vu la qualité de ses grains affectées par des pluies fréquentes alors même que les grains étaient arrivés à maturité, ralentissant le travail de récolte mené par les agriculteurs. Au fournil, la hausse des températures impose des conditions de travail particulièrement difficiles aux artisans boulangers, devant cohabiter avec des équipements de cuisson et de froid, dont les moteurs participent à générer de la chaleur s'ils ne sont pas déportés. Le sujet est d'autant plus complexe que la climatisation, qui pourrait refroidir un tel environnement, correspond assez mal aux spécificités d'un lieu riche en poussières et sensible aux courants d'air. Cette semaine, à Saint-Hostien (Haute-Loire, 43), la boulangerie La Clé de sole a préféré fermer ses portes pour préserver ses salariés et son matériel. Les températures extérieures, dépassant les 36°C, ne permettaient pas de garantir une production de qualité et des conditions de travail acceptables.

Une envolée des températures affectant la consommation de pain

D'ici à 2050, le dérèglement climatique aura fait de ces accidents une nouvelle norme. Les conséquences de cette perspective, désormais inéluctable, ne concernent pas uniquement l'aspect production et filière : ce sont également les habitudes de consommation qui vont être transformées. A chaque épisode de chaleur, les artisans peuvent observer une baisse de leur activité, particulièrement marquée sur les produits de panification. De quoi accentuer encore les difficultés d'entreprises dont le modèle économique est devenu plus que fragile : avec une consommation de pain en dessous de 100g par jour et par personne, une des raisons majeures de visite chez l'artisan boulanger s'est étiolée.

Le modèle de la boulangerie moderne en question

Dans le même temps, l'exploitation des entreprises de boulangerie a vu ses coûts exploser, de même que les investissements nécessaires pour s'installer. La profusion de matériel, qui est devenue monnaie courante au fournil et plus encore pour les activités de pâtisserie ou de chocolaterie, génère d'importantes dépenses énergétiques... et correspond assez peu à une logique de sobriété imposée par la raréfaction des ressources naturelles. Sera-t-il encore concevable demain d'utiliser des chambres de fermentation pour améliorer le confort de travail du boulanger, sera-t-il encore normal d'utiliser le froid négatif pour stocker toutes sortes de pâtisseries et de viennoiseries sur une longue période (décorrélant, de fait, les actions de production et les besoins de la vente), sera-t-il possible de faire vivre de grandes boulangeries, où les nombreuses références à produire pour remplir le point de vente nécessitent la mise en oeuvre d'importantes ressources (humaines, naturelles, financières...) ? Les réponses ne sont pas encore écrites et dépendront de la capacité, ou de la volonté, de la filière à mener sa révolution.

En 2050, les effets de la recherche variétale en cours afin de développer des blés plus résistants au changement climatique auront sans doute porté leurs fruits. Les paysages dans les champs auront radicalement changé : cultures en mélange de variétés, mise en place de précédents légumineuses pour améliorer la fertilisation des sols, nouvelles cultures pratiques de culture telles que le "relais cropping" (avec du soja notamment, dont on aura adapté la date de floraison par la mise en culture des NBT, autorisés en Europe depuis début juillet), généralisation de la culture du sarrasin pour la améliorer la solubilité du phosphore, mélange de cultures blé et pois, culture en bandes pour améliorer le rendement... l'arsenal de solutions qui se dessine dès aujourd'hui témoigne de la volonté du monde agricole de participer aux nouvelles solutions pour assurer la sécurité alimentaire d'un monde en changement.

Redéfinir le pain et la boulangerie "de qualité"

La définition même d'un pain de qualité va également changer. Aujourd'hui, l'appellation décrit généralement des produits au volume parfait, à la mie légère et alvéolée, avec une recette composée quasi-exclusivement de blé. Dans les années à venir, les exigences renouvelées en terme de qualité nutritionnelle atteindront la filière blé-farine-pain, redéfinissant ses standards. Une telle évolution pourrait se concrétiser par l'emploi de farines plus riches en fibres et nutriments (farines de meule/enrichies en son) et de céréales/graines supplémentaires pour améliorer le profil nutritionnel du pain, accompagné d'un procédé de fabrication adapté (emploi de levain naturel, notamment)... tout en remettant en question la suprématie de la baguette, devenue emblème de la boulangerie française, dont les qualités de conservation et l'intérêt nutritionnels ne sont pas toujours garantis. L'enjeu est de parvenir à identifier les acteurs du marché étant en mesure de participer à ces mutations : meuniers, artisans indépendants, réseaux de boulangerie... à défaut d'être en mesure d'emmener suffisamment d'acteurs dans cette évolution, la filière pourrait voir sa survie remise en question, faute de transmission du savoir-faire et de débouchés suffisants pour les producteurs et transformateurs. Ces évolutions seront d'autant plus complexes à mener qu'il faudra faire mieux... avec beaucoup moins. De quoi donner un écho particulier aux méthodes telles que celles pronées par les Ambassadeurs du Pain, où le recours au froid et à la mécanisation sont réduits au strict minimum.
Plus largement, c'est la nature même des produits devant être proposés en boulangerie qui sera remise en question : l'approche globale, aujourd'hui centrée sur des produits "gourmands", devra être réorientée vers des références participant au bien-être de la clientèle, dans le respect des ressources naturelles. Il faudra ainsi résoudre la complexe équation associant plaisir et santé, en réduisant le sucre ou les matières grasses saturées... ce qui ne fera qu'accroître le besoin de formation des artisans, alors même que le financement de ces actes est considérablement réduit.