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Comment adapter la boulangerie à la déconsommation ?

Publié le 28/09/2023 |

C’est une vérité qui dérange : après les arbitrages, de nombreux Français sont entrés dans la phase des restrictions. Il en résulte une baisse des volumes d’achat, aussi bien sur l’alimentaire que sur les produits d’équipement de la maison ou encore sur l’habillement. Ainsi, même si elle se redresse très légèrement, la consommation mensuelle alimentaire (hors tabac) des ménages atteint 14,712 milliards d’euros sur le mois de juin 2023 (source Insee)... effaçant la croissance engrangée depuis près de 20 ans. Face à ce phénomène qui promet d’être durable, la boulangerie-pâtisserie, comme l’ensemble des acteurs de l’économie, est contrainte de faire évoluer ses pratiques... pour devenir, à terme, une championne de l’alimentation durable et accessible.

Consommer en 2023 est devenu – plus qu’un acte naturel, comme ce fut le cas pendant plusieurs décennies – le fruit de réflexions et de mouvements souvent contraires. Comment associer l’éthique, la volonté de préserver son niveau de plaisir, la réponse aux injonctions des tendances et au caractère toujours plus social de la consommation... avec un pouvoir d’achat contraint par les effets de l’inflation ? Dépourvus de guide ou de chemin clair, les Français naviguent à vue, tout en mettant en œuvre des choix perturbant des équilibres fragiles. En boulangerie-pâtisserie, les ratios traditionnels entre les différentes activités se trouvent remis en cause par les évolutions des habitudes alimentaires et les effets de la crise débutée depuis près d’un an. Si le schéma « 70 % (boulangerie/viennoiserie) - 15 % (pâtisserie) - 15 % (snacking) » était la norme dans de nombreuses entreprises artisanales françaises, la rencontre des évolutions structurelles et de la conjoncture pourrait avoir des effets dévastateurs à long terme. En février dernier, lors de la deuxième édition du Baromètre inflation, réalisé par Alix Partners / Potloc, plus d’un Français sur deux (51 %) déclaraient avoir réduit leurs achats de gâteaux en raison du contexte économique. C’est – avec la viande rouge – l’aliment que les Français ont en majorité choisi pour changer leurs habitudes. La viennoiserie s’avère, elle aussi, lourdement touchée, avec 43 % de consommateurs ayant réduit leurs achats sous contrainte économique. Dans le même temps, les catégories « plaisir » en grande distribution résistent bien : en juin 2023, alors que les volumes ventes de produits de grande consommation continuaient à chuter de 2,2 % en cumul à date, NielsenIQ notait que celles des produits dits « réconfortants » se stabilisaient. Mieux, certaines catégories affichaient des taux de croissance insolents : + 24,5 % pour les confiseries, + 7,3 % pour les barres céréalières... autant de raisons de penser que, dans de nombreux cas, les Français renoncent aux gâteaux pour des gourmandises moins onéreuses.

(Re)faire du pain une raison de visite centrale

Dans ce contexte, l’offre de boulangerie résiste mieux que le segment sucré : le Baromètre inflation de février 2023 notait que seuls 9 % des clients en avaient réduit leur consommation. Une occasion à saisir pour les boulangers afin de réaffirmer leur légitimité et leur savoir-faire sur ces produits, en déclenchant un nouveau sursaut qualitatif. Ce dernier pourrait passer par un positionnement sur le sujet de la nutrition, encore peu traité en boulangerie et faisant l’objet d’une attention croissante de la part de la clientèle. « Les boulangers ont le pouvoir de rendre disponibles les nutriments des farines aux consommateurs », détaillait Caroline Masson, ingénieure en sciences des aliments, consultante en meunerie, boulangerie et biscuiterie, lors du récent événement « Faîtes de la Bio » organisé par la Minoterie Suire. L’enjeu est de parvenir à rassembler « de bonnes farines et du savoir-faire », indispensables à la confection d’un pain de qualité selon Marc Barré, directeur général de Biofournil. Cet acteur historique de la filière Bio a été ébranlé par la crise traversée par le label, qui a vu ses ventes reculer depuis 2021... sans remettre en question les fondamentaux de l’entreprise, entretenus depuis sa création.

Ainsi, les farines biologiques à la meule de pierre pourraient s’imposer comme des ingrédients indispensables pour le boulanger moderne, sans que le fameux label au logo verdoyant soit un critère de choix fondamental pour ses clients. « La farine de meule est un produit différent, précise Bruno Texier, responsable technique des Moulins Associés, elle contient naturellement le germe de blé, ce qui la rend plus nutritive, mais aussi plus de matière minérale. L’endommagement de l’amidon réalisé par les meules favorise également la fermentation. » L’intérêt pour le cœur du grain est partagé par Caroline Masson : « Le germe de blé est la pépite nutritionnelle du grain de blé : vitamines, minéraux, acides gras essentiels... autant d’éléments préservés par la mouture sur meule. Il faut adapter les méthodes de panification pour ces farines afin de fabriquer des pains digestes et à haute valeur nutritionnelle. » Une fermentation menée sur levain naturel est donc le prolongement logique de l’engagement développé dans les champs et au moulin : en plus d’améliorer le goût et la conservation des produits de panification, elle participe à garantir la densité nutritionnelle du pain, qui pourrait devenir, à terme, la signature des produits artisanaux.

Dans cet effort, les meuniers ont un rôle à jouer, dont se saisissent des acteurs tels que Bertrand Girardeau (à la tête des Moulins Associés, rassemblant 7 entreprises de meunerie) : « Nous avons une responsabilité d’industriels (parce que nous en sommes en tant que meuniers !) de mieux nourrir la population. Cela passe par l’optimisation de nos farines et l’intégration de fibres dans les pains, y compris ceux où elles sont d’ordinaire peu présentes, comme le pain de mie. Au Québec, nous écrasons des “blés blancs” dont la clarté des enveloppes permet de réduire l’impact visuel sur le consommateur tout en lui garantissant des produits plus nutritifs. Ce sont des pistes de travail sur lesquelles nous souhaitons nous engager, en impliquant les 11 formateurs de l’Atelier M’alice ainsi que notre équipe de Recherche et Développement (R&D)... sans jamais oublier que les produits doivent être beaux et bons pour fidéliser la clientèle ! »

Développer la segmentation au sein des gammes de produits

Même si les références hautement qualitatives satisfont des consommateurs exigeants, leur prix peut demeurer un critère excluant pour certaines catégories socioprofessionnelles.
En reprenant la loi de Pareto, du nom de l’économiste italien de la fin du xixe siècle entré dans la postérité pour ce célèbre principe, 20 % des produits vendus représentent 80 % des ventes. On peut ainsi considérer que ces références doivent faire l’objet d’une attention particulière quant à leur tarification : elles participent activement à définir « l’image-prix » d’un commerce. Or, en positionnant des fondamentaux tels que la baguette, le croissant ou encore l’éclair à des tarifs élevés, la boulangerie-pâtisserie artisanale renvoie l’image d’un commerce élitiste, qui devient en définitive réservé à des événements spécifiques ou aux achats de fin de semaine.

Mettre en place une segmentation claire des produits développés au sein d’une entreprise de boulangerie permet au commerce de répondre aux attentes de consommateurs aux moyens très variés et de mieux répondre à sa mission d’acteur reconnu du lien social. Si les pains spéciaux élaborés ou les pâtisseries fines correspondent au segment « haut de gamme », sur lequel les marges doivent être plus confortables, des produits du quotidien peuvent faire l’objet d’une signalétique spécifique en magasin afin de valoriser leur caractère accessible. Le « panier anti-inflation » proposé par le gouvernement avait pu inspirer des artisans tels que la Boulangerie Rouget, possédant deux points de vente dans le Val d’Oise (95) : flans à la vanille, éclair café/chocolat, palmier géant, baguette de Tradition, tartelette aux pommes, tropézienne... autant de produits au tarif étudié, impliquant une parfaite maîtrise des achats, des recettes rationnelles et une grande productivité au laboratoire. Une idée déployée également par des enseignes nationales telles que Ange, avec ses « bons petits prix », dont le logo est repris sur les étiquettes prix.

Réduire la part de la pâtisserie fine/fraîche dans l’activité

À l’occasion du Salon de la Pâtisserie, organisé en juin 2023 au Parc Floral de Paris (Vincennes, 94), un sondage avait été commandé auprès de l’institut OpinionWay.
Il révèle que, même si 90 % de la population française consomme des pâtisseries, dont 57 % au moins une fois par mois, rares sont ceux qui y consacrent un budget conséquent : le prix moyen alloué à un achat de gâteau est de 3,80 €, et seuls 11 % des sondés se sont déclarés prêts à dépenser plus de 5 euros pour une douceur sucrée.
Des tarifs devenus impossibles à tenir pour la filière artisanale sur des produits « élaborés », en raison de la hausse des matières premières (chocolat, sucre, beurre...) et des salaires, à moins de transiger sur la qualité des références : la « descente en gamme » est un choix de court terme, qui ne permettra pas, à terme, aux boulangers-pâtissiers de se différencier face à la concurrence. Autre enseignement : les Français plébiscitent les gâteaux plus lisibles tels que les tartes (citron, fraises, pommes) pour 40 % des sondés, les éclairs ou religieuses (36 %) ou encore le mille-feuille (31 %). C’est finalement le cookie qui s’impose comme la douceur préférée des moins de 35 ans (plus de 40 %)... prouvant l’intérêt particulier de la biscuiterie et plus largement des gâteaux de voyage dans une offre sucrée, qui sont à la fois plus rationnels à produire et plus accessibles pour les clients. Ils parviennent ainsi à répondre à plusieurs problématiques de l’époque, dont celle de la réduction du gaspillage alimentaire grâce à des durées de conservation plus longues, mais également la limitation de la consommation d’énergie grâce à un stockage à température ambiante. La catégorie des gâteaux de voyage, appelée « pâtisserie industrielle » (cakes, quatre-quarts, madeleines, financiers...) en grande distribution, réalise l’exploit d’afficher une croissance en volume de 2,2 % en 2022 selon le cabinet Iri : preuve supplémentaire que les artisans ont, eux aussi, droit à leur part du gâteau... moelleux.

Développer des instants de consommation variés pour générer du trafic

Grâce à une large amplitude horaire, les boulangers-pâtissiers sont en mesure de répondre aux besoins de nombreux consommateurs, à la fois pour une consommation hors foyer ou à domicile. En développant des offres adaptées à des temps forts tels que le petit-déjeuner, avec notamment des boissons chaudes sélectionnées, au déjeuner grâce à une modernisation de l’offre snacking, au goûter ou au dîner, les boutiques peuvent devenir des lieux de vie aux multiples visages. Le trafic est devenu l’enjeu majeur des restaurateurs et des acteurs de la distribution, les consommateurs ayant réduit leur fréquence de visite, parfois autant que leurs paniers d’achat : à l’inverse des boulangers peu de commerces disposent de nombreux leviers pour créer de nouvelles occasions de visite. Pour accompagner les artisans dans la mutation de leurs activités, la division MCOF (margarines, culinary oils & fats) de Vandemoortele a développé des contenus spécifiques à la filière, rassemblés sous la bannière Le Lab. Jusqu’alors déployé au travers d’un magazine, d’un site Internet et d’une présence sur les réseaux sociaux, le dispositif se voit complété avec un podcast visant à « cultiver l’excellence boulangère ».

Pour le premier épisode de ces capsules d’échanges et de partage de bonnes pratiques, c’est la thématique du développement de l’offre en boulangerie-pâtisserie, autour des multiples envies naissant au sein d’une journée, qui est abordée. Frédéric Comyn, à la tête de 3 affaires à Paris et Sceaux et ayant obtenu le prix de la Meilleure Baguette de Tradition de la Ville de Paris en 2022, a détaillé son expérience et sa vision : le chef d’entreprise est en mesure de répondre aux nouvelles attentes de ses clients grâce à une relation de proximité et un soin permanent porté à la qualité des prestations. Lors de la rénovation de deux de ses points de vente, l’artisan a choisi de les doter d’espaces de consommation sur place, ce qui a permis d’en accroître l’attractivité tout en mettant en valeur les fabrications 100 % maison développées par ses équipes. Le podcast est disponible en libre écoute au lien suivant : https://lelab-vandemoortele.com/le-lab-podcast-le-podcast-qui-cultive-lexcellence-boulangere/