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SOCIETE

Une manifestation, et après ?

Publié le 26/01/2023 |

Un véritable tour de force : en rassemblant ce lundi 23 janvier, selon les sources, de 1000 à 5000 artisans pour manifester à Paris, le mouvement de contestation vis à vis des prix de l'énergie prend une ampleur importante. D'autres rassemblements ont eu lieu en région, en plus du soutien affiché par des professionnels portant des signes distinctifs tels qu'un brassard en entreprise. Cette protestation ravive une forme de conscience collective qui semblait éteinte depuis longtemps, comme en témoigne un taux de syndicalisation toujours plus faible. D'autres professions s'étaient jointes au cortège, incluant naturellement des meuniers, mais également des coiffeurs, des restaurateurs ou encore des taxis. L'ancrage profond de la boulangerie dans la culture française en fait un métier fédérateur, en plus des problématiques communes que partagent ces métiers artisanaux. 

Les aides développées par l'Etat sont jugées aussi incompréhensibles qu'insuffisantes, avec plusieurs témoignages rapportant que les comptables, pourtant formés à la mise en oeuvre de tels dispositifs, ne parvenaient pas à les analyser et à apporter des réponses concrètes. Dès lors, l'incertitude grandit et les perspectives s'assombrissent, avec des licenciements annoncés au sein des entreprises les plus touchées par les hausses tarifaires. Pour y répondre, un mot d'ordre était scandé par le cortège : ouvrir le bouclier tarifaire à toutes les entreprises. Des revendications restées pour l'heure lettre morte, alors même que le Ministère de l'Economie et des Finances recevait les énergéticiens en marge de la manifestation.

Un mouvement de fermetures massif et brutal

Si certains artisans sont encore épargnés par la crise, les chiffres des procédures collectives (liquidations, sauvegardes et redressements judiciaires) confortent la vision d'une défaillance massive des boulangeries sur le territoire : elles ont en effet augmenté de 117.6% par rapport à 2021 dans le secteur, en faisant celui présentant le taux de procédures collectives le plus élevé, avec 2,5% du total des entreprises. Dès lors, le chiffre de 27 000 boulangeries en activité sur le territoire ne semble être qu'un souvenir.

Après avoir brandi baguettes et autres symboles de la profession dans les rues parisiennes, les collectifs à l'origine du mouvement doivent à présent parvenir à faire vivre l'engagement de cette "base" boulangère, qui revendique être en capacité de porter ses intérêts en hors du syndicalisme traditionnel, jugé inefficace et concentré dans une forme d'action politique déconnectée des réalités du terrain. De son côté, la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) défend les avancées obtenues dans le cadre des négociations, lesquelles permettraient, en combinant amortisseur, guichet de paiement et plafonnement des prix, d'assurer la pérennité des entreprises artisanales. Si les deux visions s'opposent sur la forme, c'est en réalité l'expression d'une scission plus profonde et ancienne entre les organisations traditionnelles et les nouvelles formes d'action.
Dans un autre secteur d'activité, l'exemple du mouvement social mené fin 2022 par les contrôleurs SNCF en dehors de toute représentation syndicale témoigne de l'efficacité de la méthode. Même si les boulangers disposent d'outils différents que ceux du transport public, la radicalisation des protestations pourrait être une des pistes engagées par ces collectifs naissants... avec le risque d'opposer nettement deux univers qui pourraient devenir alors irréconciliables, alors même que l'unité serait nécessaire pour sortir par le haut d'une telle crise. L'option d'une tentative de peser sur de nouvelles négociations et dispositifs serait également possible, sans garantie de résultat.

Des fragilités structurelles au delà d'un évènement ponctuel

Les exemples évoqués lors de la manifestation et largement documentés dans la presse locale mettent en lumière une réalité longtemps occultée : au delà de l'énergie, qui catalyse les tensions et accélère la chute de nombreuses entreprises, le modèle de boulangerie à la française traditionnel est fragile. Des artisans contraints de travailler 7j/7, sur des amplitudes horaires très larges, sans être en capacité de dégager une rentabilité confortable, la perspective d'une revente à bon prix qui s'éloigne voire disparaît, ... autant d'éléments qui démontrent la nécessité d'aller plus loin dans la transformation du secteur, dont la qualité de vie ne correspond plus aux standards attendus par les nouvelles générations, comme en témoignent les difficultés de recrutement ou de vente des fonds de commerce. C'est ici que cet élan collectif pourrait trouver tout son sens, recréant un lien entre des boulangers trop souvent isolés. Un effort qui pourrait alors associer leurs partenaires, qu'ils soient meuniers, ingrédientistes, fournisseurs de matériel ou de matières premières... de par la communauté de destin existant entre ces professions.