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Inflation

Un courant durable entre dans les fournils

Publié le 22/03/2023 |

Comment faire pour continuer à exploiter une entreprise de boulangerie-pâtisserie malgré les hausses de prix permanentes, aussi bien sur les matières premières que l’énergie, et les difficultés de recrutement ? La violence du choc subi par les artisans a remis en question nombre d’habitudes et d’évidences : méthodes de production, gammes de produits, horaires et jours d’ouverture…autant de sujets qui semblaient parfois immuables et sont aujourd’hui passés au travers de l’exigeant crible de la rationalité économique et environnementale.

Pain chaud à toute heure, amplitudes horaires d’ouverture toujours plus larges (avec disparition quasi-intégrale de la « coupure »), gammes étoffées, vastes boutiques le modèle de la boulangerie-pâtisserie artisanale moderne cochait toutes les cases d’une activité énergivore, car utilisant des sources de chaud et de froid tout au long de la journée.

L’objectif de ces pratiques, développées souvent de façon empirique au fil du temps, répondait au double impératif de satisfaire des clients toujours plus volatils, ainsi que de s’inscrire dans une logique de croissance et de volume d’affaire pour faire face à la concurrence.

Pour éviter de subir une situation qui impacterait profondément la pérennité de leurs entreprises, des artisans ont très tôt fait le choix de remettre en question plusieurs de ces fondamentaux. C’est notamment le cas d’Amaury Fieutelot, artisan boulanger installé depuis février 2017 à Clichy-la-Garenne (92).

La Rue Palloy s’est mise à l’heure du pain éthique et écoresponsable

Dans son fournil, le chef d’entreprise ne recule devant aucune expérimentation ni défi. « Lorsque j’ai pris connaissance des factures d’énergie reçues par des confrères, je me suis beaucoup questionné sur le fonctionnement de mon entreprise et sur mes processus de fabrication », indique Amaury Fieutelot, dont la boulangerie la Rue Palloy a bâti sa réputation sur sa gamme de pains au levain naturel, des viennoiseries maison ainsi qu’un flan apprécié bien au-delà des frontières de la ville.

Si sa remise en question a été aussi rapide, c’est peut-être parce qu’il a toujours cultivé sa différence et son indépendance, refusant les standards et la facilité : « J’ai fait l’acquisition d’un moulin à meules de pierre (de marque Astreïa) fin 2021 pour travailler au plus près de la matière première et être moins soumis aux aléas liés aux prix des matières premières. »

Le blé s’ajoute donc à la liste des produits qu’il achète sans intermédiaire, à l’image du lait cru fermier et des oeufs, lui permettant de réaliser de précieuses économies « en entretenant une relation humaine forte avec mes producteurs, tout en pouvant partager leur histoire avec mes équipes et mes clients ».

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 avait entamé le repositionnement de son entreprise sur les produits fondamentaux d’une boulangerie : « Jusqu’alors, nous vivions en grande partie grâce aux achats d’une clientèle de bureau au déjeuner. Les confinements et l’avènement du télétravail ont bousculé ces habitudes. Cela m’a permis de me concentrer sur le savoir-faire qui me tenait à coeur depuis mon arrivée dans la profession. »

Issu d’un parcours en reconversion professionnelle, Amaury a fait le choix d’abandonner le confort des études de droit pour s’immerger dans l’univers du pain, des fournils et des levains. Sa formation au sein d’une célèbre entreprise de boulangerie francilienne lui permettra d’acquérir le goût des fermentations et d’un pain aussi sain que naturel.

Une baguette sobre énergétiquement et toujours aussi savoureuse

L’artisan a étudié les pistes pour réduire sa consommation énergétique, en associant les conseils fournis dans des guides tels que celui diffusé par la Confédération nationale de la boulangerie française (CNBPF) à ses expériences de boulanger : «Nous réalisions de longue date un pain à faible ensemencement, avec une longue fermentation au sein d’une chambre réglée à 12 °C, au lieu des 4 °C habituels. J’ai décidé de m’inspirer de ce processus pour modifier la recette de ma baguette de Tradition française. »

Très peu pétrie (moins de 5 minutes), la pâte incorpore du levain naturel et un taux de sel bas de 15 g par kilogramme de farine « avec une eau à température ambiante car nous recherchons une pâte à 23-24 °C en fin de pétrissage. Ainsi, nous n’avons pas à employer le refroidisseur d’eau, ce qui amplifie les économies d’énergie ».

Après avoir été placée en bac, la pâte est divisée le lendemain puis cuite sans façonnage : « Ce procédé de fabrication permet d’obtenir un produit savoureux et à la bonne conservation grâce à une longue fermentation et à la farine T80 fournie par le moulin. »

Les cuissons sont achevées en début de matinée pour s’adapter au contrat d’énergie Matina signé avec EDF : « Cette nouvelle contrainte a modifié l’organisation du travail sans dégrader la qualité des produits. Nous pouvons pleinement mettre en valeur la diversité de notre gamme et notamment notre tourte de Meule signature. »

Fermer un jour de plus pour un meilleur équilibre

Ces modifications sur la production se sont accompagnées du choix de fermer le lundi et le mardi, alors que la boulangerie était précédemment ouverte du mardi au dimanche matin.

« Nos clients nous ont suivis dans cette évolution, comme c’est le cas depuis l’ouverture. La bonne conservation de nos produits leur permet d’en profiter y compris les lundis et mardis. Cela participe à fidéliser nos équipes grâce à un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle, ce qui participe à la qualité de la prestation offerte à nos clients », ajoute Amaury Fieutelot, qui est parvenu à réaliser plus de 20 % d’économie d’énergie grâce à la somme de tous ces efforts.

« Nous avons mené des hausses contenues sur le prix de nos produits afin de les maintenir accessibles au plus grand nombre. Je continue à réfléchir sur d’autres méthodes de production si je devais demain me passer de froid, étant donné qu’il s’agit du seul poste de consommation allumé en continu. Les emballages sont aussi un vrai enjeu d’avenir : à la Rue Palloy, nous avons misé dès le début sur des bouteilles et des bocaux réutilisables, qui ont représenté un investissement conséquent. Je souhaiterais prolonger cet engagement sur le pain en cessant de distribuer des sacs à usage unique. »

En véritable explorateur-boulanger, le chef d’entreprise continue à explorer les voies de durabilité pour son métier « ce qui me permet de ne jamais en faire le tour ».Une vraie hygiène anti-routine qui devrait permettre à l’entreprise de conserver l’énergie d’avancer, malgré un contexte de tensions inédit.