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SOCIETE

Peut-on sauver la boulangerie du village ?

Publié le 06/02/2023 |

Bien au delà d'une crise passagère, liée à une conjoncture extérieure, la boulangerie artisanale joue aujourd'hui les cartes de sa survie et de son avenir. Une seconde manifestation a eu lieu lundi 6 janvier à 14h face aux grilles de l'Assemblée Nationale, afin de tenter de peser sur un vote du 9 janvier, pouvant aboutirà la mise en place d'un bouclier tarifaire élargi, proposé à l'initiative de députés de l'opposition. Adopté par l'Assemblée, le texte, inclus dans une proposition de loi visant à sécuriser la nationalisation d'EDF, sera soumis au Sénat. Que l'amendement soit adopté ou pas, une partie du mal est fait : le choc financier, déjà ressenti par une partie des artisans, demeure plus faible que l'impact moral et le questionnement sur l'avenir du métier.

La boulangerie, bien plus qu'un simple commerce

Dans les zones rurales, la boulangerie a longtemps été la seule survivante au sein d'un environnement commercial décimé, assurant bien plus que la mission de fournir du pain frais et quelques gourmandises. On a souvent vanté sa capacité à entretenir du lien social et son importance dans l'aménagement du territoire. Preuve en est qu'au delà de l'émotion, certaines collectivités se sont emparées du sujet et ont développé des aides spécifiques, à l'image de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui a débloqué un budget de 6 millions d'euros afin d'aider les boulangers à payer leurs factures d'énergie ainsi qu'à investir dans du matériel moins énergivore.
Face aux protestations exprimées largement documentées face à ce que certains considèrent comme un "abandon" de la part des pouvoirs publics, les consommateurs ont exprimé leur soutien à une profession encore profondément ancrée dans leur culture et leur quotidien, par ailleurs reconnue comme le Commerce préféré des Français en 2022. Pour autant, cette solidarité se heurte aux considérations budgétaires de l'époque, comme en témoigne un sondage réalisé par l'institut IFOP début janvier pour le compte du Journal du Dimanche. Une majorité de Français (69%) déclare ne pas être prête à payer sa baguette de pain 1 euro 50, niveau de prix qui permettrait à l'artisanat de faire face aux nombreuses hausses qu'elle doit assumer (farine, énergie, masse salariales, emballages...). Ce refus est particulièrement marqué en zone rurale, avec seulement 26% d'acceptation... alors même que c'est sans doute au sein de ces territoires que les boulangeries sont les plus vitales, et donc à soutenir. 
Privées de capacité d'augmenter leurs prix à la mesure de leurs difficultés, les entreprises artisanales ne pourront plus dégager la rentabilité nécessaire aux investissements indispensables pour maintenir un outil de production performant et assurer la formation du personnel.

L'urgence de la transformation

Dès lors, la boulangerie peut-elle porter seule le poids du déclin des centre-bourgs et villages, au profit de grandes agglomérations et zones commerciales pourtant largement décriées ? Avec une consommation de pain en chute, le développement de nouvelles formes de concurrence (réseaux de boulangerie, amélioration de la qualité en grande distribution, ...) et le poids des charges autant que des matières premières, l'idée et le modèle se trouvent dans l'impasse. Dans une tribune publiée le 3 février 2022 sur le site de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), le président Dominique Anract appelle au rassemblement... et à la transformation. Il y évoque la "boulangerie de demain", qui serait plus vertueuse, continuerait à transmettre du savoir-faire et à satisfaire la gourmandise de millions de français... mais les contours de ce commerce renouvelé restent flous, alors même que les artisans se sont considérablement transformés ces dernières années. D'une offre traditionnelle, centrée autour du pain et de la viennoiserie, ils ont sans cesse développé leurs gammes, invitant pâtisseries élaborées puis plats salés pour développer leur activité, ou du moins compenser le relatif déclin de leur coeur de métier. Les points de vente et les équipes ont grandi, les difficultés de gestion tout autant, amplifiées par les tensions observées sur le marché de l'emploi en raison d'un manque de main d'oeuvre qualifiée.
Faute de vision claire et de perspectives, la boulangerie du village pourrait bien disparaître, et avec elle une part de l'art de vivre à la française. Certaines initiatives tracent cependant une autre voie, comme la boulangerie coopérative d'Uzeste (33), associant les habitants à un projet collectif pour la survie de leur commerce artisanal tout en portant des valeurs fortes de partage et de respect des ressources naturelles. 

La transformation pourrait aussi être plus profonde, abandonnant la forme de boulangerie "à la française", avec une activité de production dans chaque point de vente. De nouveaux acteurs, dotés d'un atelier centralisé, feraient vivre des réseaux locaux de boutiques "froides", sortes de dépôts de pain augmentés avec des frais de structure plus légers, pouvant accueillir d'autres types de produits en associant des acteurs locaux. En associant ce modèle aux progrès technologiques (livraisons éco-responsables, maîtrise des invendus grâce aux outils de prévision, pré-commande...), c'est une boulangerie durable et néanmoins respectueuse de la qualité et du savoir-faire artisanal qui se développerait... tout comme d'autres modèles minimalistes, aux horaires d'ouverture restreints avec des démarches très engagées. La clé de la pérennité de la boulangerie du village serait, en définitive, sa capacité à se différencier et à remettre en question son fonctionnement, impliquant un effort bien différent d'une revendication pour des aides.