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Vie économique

L’inquiétant appauvrissement des boulangers français

Publié le 20/10/2023

L’édition 2023 de l’Observatoire Fiducial de la boulangerie-pâtisserie, basée sur des résultats arrêtés en 2022, dépeint une situation où les chefs d’entreprise réduisent leur rémunération, alors même que leur implication dans l’exploitation se trouve accrue.

Privées de capacités d’investissement, les structures perdent également de la valeur à la revente, ce qui pourrait accroître le sentiment d’un travail trop faiblement valorisé.

La formule née en 2007 se transforme aujourd’hui pour les professionnels du pain : confrontés à la hausse de leurs charges, ils se trouvent contraints à travailler plus pour gagner moins, et ce afin de tenter de pérenniser leur activité.

Ainsi, la durée moyenne d’ouverture d’une boulangerie française augmente d’une heure entre 2022 et 2023, pour atteindre 58 h par semaine, et le dirigeant accroît sa présence au sein de l’entreprise : son temps de travail culmine à 2 668 heures annuelles, contre 2 651 heures un an plus tôt.

Pourtant, sa rémunération diminue fortement : pour une entreprise engrangeant un chiffre d’affaires de 150 000 à 300 000 euros, elle passe de 28 861 à 23 676 €, soit une perte de plus de 5 000 eurosUn phénomène similaire est observé sur les autres secteurs d’activité, ce qui démontre une tendance lourde et nouvelle, puisque la rémunération des chefs d’entreprise augmentait légèrement dans l’observatoire précédent.

Une fréquentation stable et des charges en augmentation alimentent les déséquilibres

C’est une forme de déclassement qui se dessine pour ces femmes et ces hommes qui se lèvent (très) tôt et s’engagent au service de leurs équipes et clients. En effet, ils ne sacrifient pas seulement leur niveau de vie mais aussi les investissements menés au sein de leurs outils de production : ils chutent à 14 158 € en moyenne, contre 16 411 € en 2022.

Ce ralentissement du renouvellement des équipements, autant en boutique qu’au laboratoire, accroît progressivement leur obsolescence. De plus, cela participe à dégrader les conditions de travail des collaborateurs autant que les perspectives de transmission des entreprises.

Ainsi, de telles structures pourraient être appelées à disparaître, leur état finissant par être trop éloigné des nouveaux standards du marché. Cela s’explique notamment par l’augmentation significative des remboursements d’emprunts, qui passent de 19 270 € à 23 223 € : les prêts garantis par l’État (PGE) contractés pendant la période de restrictions sanitaires doivent désormais être remboursés, ce qui porte une contrainte supplémentaire dans un contexte où l’activité demeure peu dynamique.

 En effet, la fréquentation des établissements est stable, atteignant 297 clients par jour en moyenne sur le territoire, et le panier moyen progresse légèrement, passant de 4,77 à 5,38 euros, majoritairement sous l’effet des hausses de prix menées tout au long de l’année, notamment sur la baguette dont le prix moyen franchit la barre des 1 euro (1,04 € précisément).

Pour résister, les artisans réorganisent leur exploitation

Fermer deux jours consécutifs s’impose comme une idée séduisante sur bien des aspects. De nombreux artisans s’orientent vers ce mode d’exploitation, de façon individuelle ou collective.

À Coutances (Manche, 51), les neuf boulangeries se sont entendues afin de répartir leurs jours de fermeture, tout en accordant un jour de congé supplémentaire aux chefs d’entreprise ainsi qu’à leurs équipes.

Ainsi, ces entreprises s’inscrivent en rupture avec une tendance observée ces dix dernières années, où la croissance a été obtenue par l’extension des gammes ou des horaires d’ouverture. La première raison de ce choix est économique : cesser de cuire du pain pendant une journée permet de faire baisser les factures d’énergie.

Le choix est tout aussi vertueux sur le plan humain, améliorant l’attractivité du métier dont les horaires et la pénibilité découragent nombre de candidats tout en réduisant la charge pesant sur le chef d’entreprise.

Cependant, réaliser ce choix sans coordination peut parfois avoir des effets de bord particulièrement négatifs sur le fonctionnement des entreprises : la répartition des jours de fermeture a toujours permis une ventilation de la clientèle entre les commerces.

De plus, l’enjeu est de garantir à la clientèle la possibilité d’acheter du pain frais et artisanal du lundi au dimanche. La démarche responsable et solidaire des boulangers de Coutances démontre tout l’intérêt du collectif face à des crises durables.