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Le suicide d'un boulanger met en lumière la souffrance silencieuse des artisans

Dans le 7è arrondissement marseillais, le rideau du Fournil de Saint Louis reste baissé. C'est au sein même de son commerce que Pascal Autexier a été retrouvé pendu le dimanche 24 septembre 2023 au soir. C'était l'un de ces héros discrets, qui font vivre un miracle quotidien : celui d'assembler les éléments que sont l'eau et la farine pour en faire du pain, grâce à son savoir-faire et une forme d'alchimie transmise depuis des siècles. Son geste pose question : est-il lié à des problèmes professionnels ou plus personnels ?

Factures d'énergie, matières premières toujours plus coûteuses, ... les chefs d'entreprises doivent composer avec un environnement hostile, où la concurrence est particulièrement féroce. Bien loin de concerner les seuls artisans, le sujet est politique : il concerne l'aménagement du territoire, pouvant entrainer la désertification de villages et de zones rurales, des sujets sociaux ou encore la pérennité de filières agricoles locales, participant à la souveraineté alimentaire du pays. Le boulanger Stéphane Ravacley, connu pour sa mobilisation afin d'éviter l'expulsion de son apprenti en 2021 et devenu au printemps dernier secrétaire national en charge des commerces, de l’artisanat et des petites entreprises au sein du Parti socialiste (PS), a témoigné de son émoi auprès du journal Le Parisien "J’ai un frère de travail qui vient de se suicider". Pour l'artisan bisontin, cet acte désespéré est le prolongement d'un phénomène déjà observé dans le monde agricole, où les suicides d'agriculteurs se sont développés ces dernières années. D'autres professions pourraient ainsi être touchées, à l'image des bouchers, frappés eux aussi par une conjoncture défavorable. Plus globalement, la société française est touchée en son coeur par l'inflation, avec le risque d'une montée de la grogne sociale en raison du déclassement ainsi généré chez des millions de français.

Pascal était connu pour sa générosité et son ancrage dans le quartier, tel que l'a souligné Sébastien Deloglu, député LFI des Bouches-du-Rhône sur le réseau social X (ex Twitter). Il devient le symbole de ces nombreux invisibles à la situation fragile : le modèle dans lequel se sont engagés de nombreux boulangers-pâtissiers français offre peu de perspectives de réussite. En payant un fonds de commerce à un prix élevé, auquel peuvent se rajouter des investissements nécessaires pour améliorer les conditions de travail, l'endettement de ces structures artisanales peut rapidement devenir intenable... d'autant plus quand la consommation bât de l'aile, comme c'est le cas aujourd'hui. Olivier Faure, député de Seine-et-Marne (77) et président du Parti Socialiste a appelé à "sortir du déni". "Nos artisans, nos agriculteurs ont besoin de notre soutien" a-t-il poursuivi. Un soutien qui devrait venir à la fois des consommateurs, de par leurs actes d'achat quotidiens, des collectivités... mais aussi de la filière elle-même, qui devra imaginer de nouvelles façons de faire vivre décemment celles et ceux qui font le pain. Leurs partenaires que sont la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) ou les meuniers auront fort à faire afin de développer des outils adaptés pour former et fidéliser dans une filière confrontée à de nombreux enjeux, à la fois économiques et sociétaux, la boulangerie devant prendre part à la transition alimentaire et écologique engagée à l'échelle de la société. De son côté, Stéphane Ravacley milite pour des gestes forts à destination des indépendants, tels que la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité ou les ingrédients. Un effort de solidarité qui n'est pas encore parvenu à séduire.

Questionnée sur le sujet, la ministre Olivia Grégoire dénonce la récupération politique du tragique événement "Ce qui est indécent, c’est de tout mélanger. Ce qui est indécent, c’est de lier des choses qui n'ont pas à être liées.". Elle a assuré que la situation financière du boulanger était saine : dettes fiscales, dettes sociales, situation auprès des fournisseurs... tout aurait été inspecté, sans laisser présager de difficultés. Un constat partagé par Monique Imbert, présidente de l’union des syndicats des maîtres artisans boulangers-pâtissiers des Bouches-du-Rhône. Interrogée par le journal 20minutes, elle dépeint une situation ne semblant pas dégradée : l'artisan voulait racheter les murs de la boutique à son associé, et cherchait à remplacer deux de ses salariés. "Quand on parle de racheter des parts et remplacer du personnel, ce n’est pas le discours de quelqu’un qui est au bout du bout." conclut-elle.