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interview

Entretien avec Olivia Grégoire

Publié le 22/11/2022

Entretien avec Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme

Énergie, matières premières, recrutement, attractivité et pérennité de la boulangerie artisanale… Autant de sujets qui agitent l’actualité et qui sont au cœur des attentions des pouvoirs publics. Olivia Grégoire a partagé avec « Le Monde des Boulangers-Pâtissiers » sa vision et l’engagement de son ministère au service de la filière.

Madame la ministre, les artisans boulangers sont restés mobilisés au cours de la crise sanitaire liée à la Covid-19, de par leur caractère de commerce essentiel. Leur engagement et leur capacité d’adaptation ont été unanimement reconnus. Aujourd’hui, le contexte d’inflation généralisée et la flambée des cours de l’énergie remettent en question la pérennité de bon nombre d’entreprises. Comment le Gouvernement compte-t-il agir pour donner des perspectives positives à ces milliers de chefs d’entreprise ?

Olivia Grégoire : Face à la hausse des prix de l’énergie, près d’1,5 million de TPE, dont la puissance électrique nécessaire n’excède pas 36 kilovoltampères, bénéficient du bouclier tarifaire qui limite la hausse du prix de l’électricité à 4 % jusqu’à fin janvier, puis 15 % à partir de février.

De nombreux boulangers consomment beaucoup plus d’énergie, à cause de leurs fours notamment, et ne sont donc pas concernés par cette mesure. Pour les protéger, nous avons donc décidé, après discussions et accords avec les représentants des entreprises, de protéger de façon homogène et la plus simple possible les TPE et PME jusqu’à 250 salariés.

Dès le 15 novembre, nous allons ouvrir un guichet simplifié et élargi qui permettra de compenser leurs dépenses de ces derniers mois puis, à partir de janvier 2023, le Gouvernement prendra en charge, avec l’amortisseur électricité, une partie de leur facture d’électricité.

Cette aide couvrira une part de leurs coûts et sera décomptée directement sur leur facture par leur fournisseur. Cette aide sera automatique, les entreprises concernées n’auront donc rien à faire pour pouvoir en bénéficier.

L’augmentation des prix conseillée aux artisans ne risque-t-elle pas de provoquer de nouveaux choix de consommation, aggravant la fragmentation de cette dernière, tout en réduisant la clientèle des boulangers ?

O. G. : Avec l’augmentation du coût des matières premières et du coût de l’énergie, les artisans, et les boulangers en particulier, peuvent être tentés d’augmenter les prix de vente de leurs produits. Certains l’ont déjà fait de manière raisonnée. Ils savent surtout qu’il n’est pas dans leur intérêt de pratiquer des prix trop hauts pour ne pas faire fuir la clientèle.

J’ai reçu la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, et j’ai eu à cœur d’aller à la rencontre des professionnels, des artisans boulangers lors de mes déplacements pour évoquer avec eux leur situation et écouter leurs propositions.

Je sais que nos boulangers ne souhaitent pas augmenter les prix, mais qu’ils ne trouvent parfois pas d’alternative. Certains artisans se tournent ainsi vers une réduction de la gamme de produits proposés pour faire face à l’augmentation de leurs charges.

Les Français sont attachés à leur boulanger. Dans certaines communes rurales, ils sont parfois le dernier commerce de proximité et sont en ce sens un véritable tendon social. C’est pourquoi, s’agissant d’un produit de première nécessité, d’un produit emblématique, il ne doit pas atteindre des sommes inaccessibles et rester à la portée de tous, notamment des plus modestes.

Les boulangers le savent et connaissent l’attachement des consommateurs au pain, et il est certain que beaucoup de Français ne troqueront jamais la qualité du pain de l’artisan boulanger du coin au prix de la baguette industrielle. Les dispositifs d’aides que nous mettons en place devront permettre d’éviter une augmentation du prix trop drastique.

Au-delà de cet aspect conjoncturel, c’est la place de la boulangerie dans l’environnement commercial qui est remise en question. Son action au service du maintien du lien social, notamment en milieu rural, demeure indispensable pour de nombreuses villes et villages. Quelle est votre vision de ces territoires et commerces de proximité ? Pensez-vous qu’il soit nécessaire de les accompagner plus qu’aujourd’hui à l’avenir ?

O. G. : Le commerce est un pilier de notre vie en société. Lorsque, dans un village ou un bourg, le dernier commerce ferme, c’est un coup très dur porté à la vie locale. Le commerce en zone rurale, c’est souvent le dernier tendon du lien social qui fait que les habitants ne se sentent pas délaissés. Investir dans le commerce rural, c’est investir dans la vie de la commune, c’est remettre de la proximité.

C’est pourquoi dans le plan de transformation que j’ai annoncé il y a quelques jours, j’engage une reconquête du commerce rural, avec une première enveloppe de 12 millions d’euros en 2023. Ces fonds permettront de soutenir le projet des collectivités pour que 1 000 communes puissent bénéficier d’une offre commerciale.

La filière d’apprentissage forme chaque année des milliers de jeunes. Pourtant, les difficultés de recrutement en boulangerie artisanale sont toujours aussi criantes, rendant l’exploitation des entreprises particulièrement tendue. Comment analysez-vous ce fossé entre main-d’œuvre formée et disponible sur le marché du travail ? L’attractivité du métier (toujours physique et contraignant) est-elle la seule variable en cause ou bien voyez-vous d’autres leviers d’action ?

O. G. : Des milliers d’apprentis sont formés chaque année, et le secteur de l’artisanat est l’un des principaux secteurs à les accueillir et à les former. Les chiffres de l’apprentissage ont atteint des niveaux records : plus de 730 000 apprentis en 2021, dont 176 000 dans les entreprises de moins de 20 salariés, contre 290 000 apprentis en 2017.

C’est un succès collectif de l’ensemble des acteurs qui s’impliquent dans la politique en faveur de l’apprentissage et de la réforme de 2018 portée par le Gouvernement. L’État a joué le rôle de facilitateur, il a permis que des entreprises puissent embaucher, et ce sont elles qui ont donné leur chance à ces milliers de jeunes.

Cette réussite repose sur la foi que nous avons dans l’intelligence de la main, pour paraphraser un ancien Premier ministre, et dans la volonté des entreprises de tendre la main à ces jeunes. Pourtant, dans de nombreux secteurs, j’entends les entreprises, les fédérations professionnelles me parler de leurs difficultés de recrutement.

C’est une problématique générale qui se présente de manière différente selon les secteurs, et la situation n’est pas homogène selon les territoires. Certains métiers souffrent d’un déficit d’image, d’attractivité, d’autres d’un manque d’adéquation entre les besoins des entreprises et les compétences disponibles.

Une très grande majorité de nos jeunes recherchent aujourd’hui des métiers qui font sens dans leur quotidien, qui apportent une valeur ajoutée à ce qu’ils font, et quoi de mieux qu’un métier artisanal où, à la fin de la journée, on a la satisfaction d’avoir fait quelque chose de ses mains. Ils restent des métiers attractifs grâce au sens qui est donné dans le travail.

Le nombre d’apprentis en boulangerie-pâtisserie est très élevé et demeure à un niveau stable, justement pour cette raison. Pour autant, les métiers de boulanger-pâtissier sont exigeants et demandent un fort engagement ainsi qu’un travail à la fois minutieux et rigoureux, gage de la qualité des produits. Les entreprises doivent être dans une démarche dynamique pour prendre en compte l’évolution du marché du travail et les aspirations des professionnels

À une époque où la souveraineté alimentaire est devenue un enjeu majeur pour notre pays, la boulangerie artisanale joue un rôle important dans cet effort en faisant vivre des filières locales (agriculture, meunerie), avec des activités et des emplois non délocalisables. Cette position n’est pas toujours bien mise en valeur, notamment face aux autres segments d’offre de pain, pâtisserie ou viennoiserie. Quelles sont les actions de l’État pour participer à valoriser et à protéger ce secteur essentiel ?

O. G. : En effet, la boulangerie artisanale est étroitement liée aux filières de la meunerie et de l’agriculture, et il est important de valoriser le travail de nos artisans. Il existe des dispositifs pour mettre en valeur les productions artisanales.

À titre d’exemple, les dénominations de « pain traditionnel » ou « pain maison » sont protégées depuis 1993, et elles ne peuvent être utilisées que dans le respect d’un cahier des charges exigeant sur la composition de la pâte, sur le procédé de fabrication.

Ces dénominations ont fait leur preuve, puisque, aujourd’hui, tout le monde connaît la « baguette tradition ». D’autres initiatives ont été prises par le secteur : je pense par exemple au label « boulanger de France » lancé en 2020 par la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française qui doit permettre aux artisans de se démarquer de la concurrence.

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