ORGANISATION DU TRAVAIL
Demain, tous indépendants ? Comment les boulangers pourraient s'ouvrir à la flexibilité
Les laboratoires de boulangerie-pâtisserie finiront-ils par être peuplés d'auto-entrepreneurs ? Il y a plusieurs années, les taxis avaient vu leur profession être "uberisée" avec l'arrivée des Voiture de tourisme avec chauffeur (plus communément appelés VTC), ce qui avait laissé des traces et provoqué des remous dans un milieu jusqu'alors très réglementé. Dans les métiers du goût, la transition pourrait être beaucoup moins visible et douloureuse : la flexibilité serait séduisante autant pour les chefs d'entreprise que pour les équipes... avec cependant des effets de bord inévitables à long terme.
Un manque de main d'oeuvre chronique et des habitudes de consommation en évolution
Cette tendance naissante est le fruit de deux mouvements combinés : du côté des entreprises, les difficultés de recrutement ont découragé certains artisans de chercher des recrues durables et de fédérer une équipe. Ils se contentent alors de gérer la production et la vente en fonction des ressources disponibles chaque jour, et n'hésitent pas à faire appel à de l'intérim lorsque c'est nécessaire. De plus, l'inflation et la baisse de consommation observée ces derniers mois finit par rendre le manque de main d'oeuvre plutôt utile au compte de résultat : avec une masse salariale contractée, les entreprises deviennent plus rentables (ou du moins préservent leurs marges). Au delà de cet aspect strictement conjoncturel, les habitudes de consommation ont évolué depuis la période de pandémie : le télétravail a bousculé les codes, et les achats se font moins le week-end. Cette tendance s'observe notamment en grande distribution, comme le détaillent des données fournies par Circana : avant la crise Covid-19 (début 2020), la part des achats sur les vendredi-samedi-dimanche était de 46,2%. Elle chute à 44,3% en 2023, tandis que le lundi, jour "creux" historique", progresse (passant de 12,8% à 13,6%).
Dès lors, les artisans sont contraints de s'adapter... et miser sur la flexibilité pourrait être un outil précieux, leur permettant de ne disposer de bras que lorsqu'ils en ont réellement besoin.
Vers une nouvelle relation au travail
Au sein de la population d'ouvriers, là encore, la crise sanitaire a laissé des traces. La relation au travail s'est rapidement délitée, et le cadre protecteur du salariat est parfois vu comme une contrainte : il faudrait alors être en capacité de travailler "à la demande", à la fois pour mieux s'adapter aux contraintes de la vie personnelle (garde d'enfants, impératifs médicaux...) et pour laisser plus de place aux loisirs et au repos. Une véritable révolution culturelle dans un métier où le labeur était, jadis, la valeur cardinale. Pourtant, de nombreux boulangers ou pâtissiers n'ont pas hésité à passer le pas pour devenir auto-entrepreneurs ou équivalent et proposer leurs services sous diverses formes (renfort, vente de produits finis aux restaurateurs, ...). Cela pose cependant des questions sur la transmission du savoir-faire et le développement d'une indispensable culture d'entreprise, permettant de garantir la qualité des fabrications : le savoir-faire spécifique de chaque boulangerie, apprécié des clients, demande du temps pour être intégré et mis en oeuvre au laboratoire ou au fournil.
Ces transformations inspirent des start-ups, qui se lancent sur le créneau de la mise en relation d'entreprises avec des profils qualifiés. C'est le cas de la toute jeune structure Baker Staff, fondée par Sacha Sardo, accompagné de Jérémy Triacca. Le principe est simple : permettre aux boulangeries-pâtisseries de trouver des renforts pour une durée de 5 jours à 6 mois, avec un coût débutant à 28 euros de l'heure tout compris (avec assurance fournie par AXA incluse). Sacha Sardo ne découvre ni le secteur ni cette position d'intermédiaire : ayant un père boulanger, il a très tôt baigné dans les spécificités de la filière. En 2016, il a créé MSA Staff afin de mettre en relation des garagistes avec des milliers de mécaniciens indépendants "En expliquant mes activités aux boulangers, ils me confiaient tous avoir besoin de renforts de personnel qualifiés. A côté de ça, de plus en plus de salariés boulangers souhaitent devenir auto-entrepreneur pour augmenter leur rémunération et être plus libre. Notre vision du côté des patrons, c'est de trouver un profil qualifié rapidement et sans effort ! ", témoigne le dirigeant.