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Zone Interdite sur M6, une vision manichéenne de la boulangerie

Publié le 19/04/2023 |

Le bon artisan contre le mauvais boulanger, qui incorpore à ses recettes additifs et autres améliorants de panification. C'est l'approche simpliste et erronée que détaille la chaine M6 dans le descriptif de l'émission Zone Interdite, diffusée sur la chaine M6 le dimanche 23 avril à 21h10 : le mouvement de standardisation et d'intensification des processus de panification s'est considérablement inversé ces dernières années. Une telle publicité pour une filière en proie à de grandes difficultés s'avère particulièrement discutable... d'autant plus quand on sait que la même chaine diffuse, depuis plus de dix ans, un programme destiné à valoriser le travail des artisans boulangers.

Jeter l'opprobre sur une profession en plein renouveau

"Pourtant, le modèle ancestral du boulanger artisanal est menacé car le pain s’est industrialisé et standardisé. Les recettes ont évolué : améliorants, poudre « anti-cloque », nous avons découvert de nouveaux ingrédients ajoutés pour faciliter la vie des boulangers."
En une phrase, les pratiques des artisans sont remises en cause : il serait monnaie courante d'employer des additifs en panification. Or, mis à part pour la fabrication de la baguette de pain courant (ou "pain blanc"), ces produits ne sont pas si usités dans les fournils. Mieux encore : sous la pression de l'exigence des consommateurs, de nombreuses préparations (ou pré-mixes) ont été reformulées pour s'orienter vers une composition clean label. Banette, Festival des Pains, ... autant d'acteurs majeurs qui ont retravaillé leurs produits iconiques afin de leur offrir une seconde jeunesse, substituant par exemple l'acide ascorbique par des solutions naturelles comme l'extrait d'acérola.
Dans le même temps, la meunerie a investi pour développer son offre de service et participer activement à la formation des artisans boulangers. Les fermentations longues, basées sur du levain naturel et des farines "brutes", sont revenues sur le devant de la scène...

La qualité du pain a progressé pour l'ensemble des acteurs de la filière

... et ne sont pas réservées aux seules reconversions professionnelles ou paysans boulangers. Si ces deux profils ont connu une mise en lumière particulière dans les médias, ils continuent de représenter une faible part des artisans en activité. "aventurier du pain" contre "baguettes standardisées et prêtes à mâcher", l'opposition entre la boulangerie "conventionnelle" et ces acteurs "vertueux" est aussi palpable que contre-productive : les multiples approches du métier peuvent continuer à co-exister, car elles participent toutes deux à nourrir la clientèle et à transmettre du savoir-faire. Plus que jamais, l'unité de la profession est nécessaire afin de répondre aux nombreux enjeux auxquels elle fait face.

La diffusion de tels reportages crée des interrogations et du doute chez les consommateurs, alors même que leur confiance envers les artisans boulangers demeure, pour l'heure, forte. Il est indispensable d'apporter des éléments de réponse clairs et transparents sur les engagements de la filière : les équipes de vente seront en première ligne et doivent être accompagnées afin de tenir un discours cohérent. Plusieurs sujets peuvent être traités :

  1. Un artisan boulanger pétrit, façonne et cuit ses pains sur place chaque jour : la réglementation est claire à ce sujet. C'est un procédé qui requiert du savoir-faire et de la rigueur afin d'obtenir un produit de qualité chaque jour. 
  2. La baguette de Tradition française est garantie sans ajout d'additif ou d'améliorants de panification. Grâce à un pétrissage délicat et une longue fermentation (généralement de 12 à 18h), on obtient un produit savoureux et nourrissant. La cuisson est un point d'attention majeur pour sa digestibilité et la qualité globale du produit : le pain bien cuit est plus digeste, offre de meilleurs arômes et se conserve mieux.
    A l'inverse, il faut être pleinement transparent sur le procédé de fabrication de la baguette de pain courant, qui contient effectivement des améliorants. Leur dosage est faible et permet de garantir la régularité du produit, aussi bien en terme d'esthétique, de goût ou de texture. Si ses qualités nutritionnelles sont remises en question, elle demeure un produit apprécié de la clientèle pour sa croûte fine et sa mie douce.
  3. La filière blé-farine-pain est engagée dans une démarche de progrès collectif, avec le développement de démarches qualité (CRC, Label Rouge, Bio...). Les farines employées en boulangerie artisanale sont 100% françaises, avec une réglementation stricte sur les méthodes de culture et de transformation : c'est la garantie d'obtenir un produit sûr, sain et issu d'une filière locale (les moulins s'approvisionnent en règle générale dans un rayon de 100 à 150km autour de leurs sites de production). Un nombre croissant de produit est réalisé à partir de farines plus complètes (T80, T110, T150) ou de céréales variées (seigle, sarrasin, petit épeautre...), avec éventuellement incorporation de graines : cela participe au caractère nutritif des pains.
  4. Si des pains sont réalisés sur base de levain naturel, il faut mettre l'accent sur les qualités qu'apporte cet agent de fermentation naturel : goût, conservation, digestibilité... tout en insistant sur le caractère naturel des pains qui sont ainsi fabriqués et leur identité singulière : le levain est la signature d'un boulanger, car il le créé et l'entretient chaque jour.
  5. Les farines de "blés paysans" ou de "blés anciens" bénéficient d'un intérêt croissant, étant réputés plus digestes et savoureux. Là encore, c'est le travail du boulanger qui doit être valorisé : on peut obtenir des pains de grande qualité avec des farines de blés "modernes", grâce à un respect des temps de fermentation et à l'emploi du levain naturel. L'étude "Gluten, mythe ou réalité", pilotée par INRAE et le Biocivam11, a démontré que le pain artisanal, pétri modérément à l'aide d'un pétrin mécanique, fermenté longuement au levain naturel serait nettement plus digeste qu'un produit fabriqué de manière intensive. L'impact du procédé de transformation et du ferment se révèlent plus importants que le type de variétés utilisés, à l'inverse de nombreuses allégations diffusées ces dernières années.