L'actualité de votre univers professionnel

Stratégie

Qu’est-ce que le « clean label » ?

Publié le 23/10/2023

En boulangerie artisanale, l’absence de pré-emballage sur la plupart des références dispense les professionnels de nombreuses obligations afférentes à l’affichage de la composition de leurs fabrications. À une époque où la transparence et la sincérité des engagements sont devenues de véritables critères de choix, il est à craindre que la filière soit forcée de s'interroger sur certaines de ses recettes et procédés.

C’est notamment le cas pour la viennoiserie qui, même si elle est fabriquée « maison », incorpore souvent des améliorants dont la composition fait l’objet de controverses. Une occasion à saisir pour s’orienter vers une démarche « Clean Label », à étendre sur l’ensemble des fabrications en boulangerie.

Début septembre 2023, le magazine grand public Grazia publiait sur son site Internet un article consacré aux dangers liés à la composition de produits tels que les croissants ou pains au chocolat. « Selon une étude, la présence d’additifs dans les viennoiseries, (…) est dangereuse pour la santé », introduisait le média, qui s’appuyait sur une étude publiée dans le British Medical Journal, basée sur l’analyse des données de 95 442 adultes français sans antécédents de maladie cardiovasculaire ayant participé volontairement à l’étude NutriNet-Santé entre 2009 et 2021.

Les résultats ont permis de mettre en lumière le rôle des émulsifiants, souvent qualifiés de « marqueurs d’ultra-transformation » dans les recettes, sur le développement de maladies cardiovasculaires.

Parmi eux, des apports plus élevés en monoglycérides et diglycérides d’acides gras (E471 et E472) ont été associés à des risques plus élevés pour toutes les pathologies étudiées. Or, ces deux composants sont incorporés dans la plupart des améliorants pour viennoiserie disponibles sur le marché, dépassant de loin le seul secteur industriel.

Les clients consomment donc ces substances sans en être informés, ce qui pourrait poser de réels problèmes de santé publique. « Nous ne maîtrisons pas, à l’échelle de la filière, l’ensemble de la consommation des clients : en fonction des régimes alimentaires, il est possible d’observer des cumuls amenant à des surconsommations de substances controversées, engendrant des problèmes de santé », regrette Denis Fatet, formateur boulanger au sein de l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP - Rouen, 76).

Le savoir-faire métier au service de compositions naturelles

L’utilisation des améliorants dans les fournils n’est pas nouvelle : elle s’est répandue autant pour la panification, avec une incorporation dans les recettes de pain courant ou au cœur des farines composées, mais aussi pour la production de viennoiseries.

Cela s’inscrit dans un processus de rationalisation des fabrications, l’objectif étant de lisser l’activité du poste du tour tout au long de la semaine en utilisant le froid négatif. « Au-delà de trois jours de stockage, l’incorporation des améliorants est nécessaire pour garantir la qualité du produit fini, précise Philippe Hermenier, Meilleur Ouvrier de France Boulanger et formateur pour l’INBP. Sur le terrain, nous rencontrons deux types de professionnels : ceux pour qui l’utilisation de ces ingrédients est exclue, et ceux qui ont admis la pratique. »

Pour la première catégorie, il est alors nécessaire d’observer une grande rigueur à chaque étape de la fabrication : « La sélection des matières premières est essentielle : utiliser une farine de force (type gruau), de la pâte fermentée (des rognures d’une précédente production, par exemple) en quantité mesurée, une levure adéquate (type levure osmotolérante) et un beurre de tourage au point de fusion élevé, participent à la qualité du produit fini. »

Après un pétrissage adapté, qui donnera à la pâte la force nécessaire, c’est un ensemble de points de détails qui feront la différence. « Le tourier doit utiliser le froid en permanence. Tous les laboratoires ne pouvant être climatisés, il faut alors miser sur des astuces, comme travailler sur des plaques en bois de format 60x80, à plaquer au congélateur au préalable, ce qui crée un “micro-climat” au niveau de la pâte. »

Le stockage a également un impact sur le volume du produit une fois remis en œuvre : un passage en cellule de surgélation, à -30 °C, est indispensable. « Protéger les produits avec des couvercles ou des sacs plastique leur évite de également “brûler” avec le froid », conseille Philippe Hermenier.

Pour éviter d’écraser les feuillets, l’association d’un tour simple et d’un tour double offre un bon équilibre entre la force ainsi donnée à la pâte et le visuel du produit fini. « Le professionnel doit trouver un bon équilibre entre le volume, le goût, la conservation et la texture de ses viennoiseries. Cela passe notamment par la phase de façonnage, qui peut compenser une moindre répartition du beurre dans la pâte : pour un croissant, augmenter l’enroulement participe à l’aspect visuel et gustatif, en obtenant la fameuse “cascade de couches” plébiscitée par les consommateurs. »

Surdoser pour garantir la qualité du résultat, une pratique contre-productive

Au-delà de ces éléments de savoir-faire, l’artisan boulanger fait souvent preuve d’un soin plus relatif quant au dosage des améliorants dans ses recettes. « Pour ne prendre aucun risque sur la viennoiserie proposée en boutique, les professionnels dépassent volontairement les dosages préconisés, et ce de façon régulière », constatent Philippe Hermenier et Denis Fatet, en se basant sur leurs nombreuses interventions.

Une vision partagée par Stéphane Manach, boulanger technicien chez Lesaffre Panification France : « Pour notre améliorant Ibis Violet, nous préconisons un dosage à 1 % du poids de farine. Cependant, chaque artisan devrait adapter cette quantité en fonction de sa recette, et de l’utilisation ou non d’une farine déjà additivée. Il est alors possible d’abaisser le dosage à 0,5 %, voire 0,3 %. »

Pire encore, le surdosage finit par être contre-productif. « Alors que l’objet de ces ingrédients est de compenser les faiblesses éventuelles d’une matière première et de garantir un volume optimal après surgélation, dépasser la dose recommandée pourra avoir l’effet inverse en limitant la pousse, en faisant rougir le produit ou en resserrant sa mie. »

Autant d’arguments justifiant de faire un usage raisonné… même si leur composition est appelée à évoluer, en réponse aux nouvelles attentes sociétales. Lors du prochain Salon Sirha Europain 2024, Lesaffre présentera en effet une version « Clean Label » de son améliorant Ibis Violet : « Nous avons retiré les émulsifiants (les “E” présents dans la composition actuelle) tout en gardant la même efficacité avec le même dosage, comme l’ont prouvé nos tests en interne et chez des clients », se réjouit Stéphane Manach.

De quoi permettre aux artisans de réaliser des viennoiseries à la composition plus naturelle, sans perdre de vue les éléments clés de ces produits emblématiques du savoir-faire boulanger français.

« Le volume et le visuel ne doivent pas devenir les seules préoccupations : en se centrant sur ces aspects, on s’éloigne progressivement du produit originel, avec des dérives professionnelles regrettables. L’artisan a la responsabilité de préserver son savoir-faire et doit expliquer ce qu’est un vrai croissant, un beurre de qualité… pour continuer à faire la différence », conclut Denis Fatet.