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Matières premières

Les sucres alternatifs  font leur révolution

Publié le 24/05/2024 |

Sous la pression des consommateurs ou des politiques publiques, les boulangers-pâtissiers doivent se prêter à un jeu d’équilibriste pour conjuguer santé et saveurs sucrées. Explorer les alternatives aux sucres raffinés – sirops, sucres de terroir ou mucilage… – offre de nombreuses options pour revisiter les recettes et allier gourmandise et bien-être.

Mangez "moins gras, moins sucré, moins salé". La consigne, répétée en litanie, a infusé dans les esprits, et les consommateurs sont de plus en plus exigeants – sinon frileux – vis-à-vis des spécialités sucrées. Entrés dans les usages des professionnels, les sucres alternatifs ne sont plus uniquement des substituts, mais des ingrédients à part entière offrant avantages gustatifs et nutritionnels, tout en répondant aux attentes d’une clientèle à la recherche de naturalité et d’authenticité.

Les sucres non raffinés

Les plus "démocratisés" et familiers des clients sont sans doute les sucres non raffinés (sucre de noix de coco, muscovado, rapadura…), devenus courants en boutique bio ou en grande surface. À l’inverse des sucres raffinés, ils ont conservé vitamines et minéraux. Leurs saveurs prononcées les prêtent judicieusement aux préparations dont il faut équilibrer les saveurs. Le sucre de noix de coco, apprécié pour son indice glycémique bas, est facile d’emploi et idéal pour les préparations pâtissières nécessitant un sucre fin (crèmes, mousses, inserts…), où il sait se faire discret. Le chef Vincent Guerlais l’emploie par exemple dans ses tartes tatin.

Côté sucres de canne complets, le rapadura et le muscovado, intéressants sur le plan gustatif, ont aussi largement investi les laboratoires. Le plus connu est le rapadura d’Amérique latine, Brésil et Paraguay en tête. Ses cousins mauriciens et philippins s’appellent "muscovado" ou "mascobado", "panela" au Pérou, ou encore "gur" en Inde. Ces sucres requièrent aussi un travail d’expérimentation et d’équilibrage. Leur puissance aromatique ayant tendance à prendre le dessus, ils se doivent d’être associés à d’autres sucres.

Attention toutefois : ils s’agglomèrent vite, ce qui peut compliquer leur manipulation et leur conservation. Le rapadura est obtenu par extraction du jus de canne à sucre, suivi d’une évaporation lente et d’une cristallisation naturelle. Sa couleur ambrée s’accorde à un caractère prononcé de caramel, et sa texture granuleuse en fait l’allié des biscuits ou crumbles. D’un brun profond, le sucre muscovado (sucre de canne complet) parfume de ses notes de réglisse la plupart des basiques de la pâtisserie. On le retrouve par exemple dans de nombreux desserts du MOF Yann Brys, qui joue sur le dosage pour renforcer les notes chaudes et boisées. Le chef pâtissier Yann Couvreur en a également fait une base de ses cookies aux teintes rustiques et automnales.

Des alternatives plus confidentielles

Au rang de ces perles rares se trouve le sucre noir du Japon, apprécié pour son côté sophistiqué, qui fait l’objet d’un intérêt croissant en France. Issu d’un jus de canne à sucre fraîche réduit au feu de bois, il conserve un certain degré d’humidité et colore, même à petite dose, pâtisseries et ganaches. Cette gamme a conquis des chefs pâtissiers tels que Pierre Hermé, qui propose notamment une tarte aux abricots et sucre noir d’Okinawa.

Un autre sucre insulaire fait parler de lui. Ressuscité en 2014 par le sucrier Payet & Rivière, le galabé est un pur produit de La Réunion. Ce jus de canne évaporé dans l’environnement ambiant à plus de 100 °C (contrairement au processus industriel d’évaporation sous vide à 70 °C) contient moins de 90 % de sucres globaux, dont 65 à 68% de saccharose, 10% de glucose et 10% de fructose. Les 10% restants sont composés d’eau et de nutriments.

Moins usités mais prometteurs, l’eau et le sucre de bouleau (xylitol) conviennent aux clients désireux ou contraints de réduire leurs apports en sucre. Ces deux ingrédients, issus pour l’un de la sève et pour le second de l’écorce du bouleau, sont au cœur de la gamme de chocolats, pâtes à tartiner et confits de fruits du duo Alléno & Rivoire. Du fait d’un indice glycémique très bas (7 pour l’eau de bouleau, contre 70 pour un sucre normal) et de l’absence de saccharose (seul le sucrose est présent), l’eau de bouleau respecte la santé des plus fins gourmets.

Options saines et tendances

Si les sirops d’érable, d’agave ou de datte sont régulièrement cités, il en est un qui fait de plus en plus parler de lui : le sirop de yacon. Extrait d’un tubercule cultivé en Amérique du Sud, le yacon est aussi baptisé '"poire de terre". Ce sirop à indice glycémique bas a une faible teneur en calories (30% de moins que le sucre blanc). Il se marie excellemment avec les fruits à coque, le chocolat, le café ou la banane. En France, la marque Yacon & Co est la seule à proposer ce produit. Elle collabore avec une usine située à Cajamarca, au Pérou, et propose un produit certifié AB. Plus fluide que le miel et plus dense que le sirop d’érable, son parfum est plus léger, ce qui maximise ses usages. Son IG de 1 compte parmi les plus faibles du marché. Yacon & Co travaille avec des experts de la nutrition, mais aussi avec des professionnels, comme la cheffe pâtissière Johanna Le Pape.

Il fait une entrée discrète sur le marché… et pourtant, promet de conquérir les laboratoires des artisans pâtissiers et chocolatiers. Le mucilage a le vent en poupe ! Cette pulpe blanche qui enrobe les fèves de cacao dans la cabosse a un fort pouvoir sucrant, mais elle est aussi un extraordinaire exhausteur de goût. Consommé sous forme de boisson dans la plupart des pays producteurs de cacao, le mucilage était, hélas, souvent destiné en grande partie au rebut… alors qu’exploitable, et exploité, depuis des siècles !

En France, l’offre se diversifie timidement mais sûrement. Valrhona commercialise un sirop de mucilage utilisable pour des préparations légères, telles que nappages, glaçages, crèmes, mousses, boissons ou glaces. De texture gélatineuse, le mucilage brut agit, lui, comme la pectine et apporte de l’épaisseur aux créations.

L’entreprise belge Dirafrost propose quant à elle une purée de mucilage non raffinée originaire d’Équateur. Conditionnée en bac surgelé de 1 kg, elle se conserve deux ans (une semaine une fois décongelée). Bien qu’issu du cacaoyer, le mucilage n’est pas amer. Son goût sucré rappelle la poire et le litchi, et a conquis bien des artisans au dernier Sirha. Riche en vitamines, anti­oxydants, magnésium, potassium, théobromine et sérotonine, le mucilage mériterait l’appellation de "superfruit" ! Des écoles hôtelières vont prochainement s’essayer à ce produit, qui couvre les besoins d’innovation et d’évasion des artisans du sucre.