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CONSOMMATION

Disparition du pain bien cuit : un véritable sujet de société

Publié le 09/03/2023

La culture du pain français, basée sur la croûte et son croustillant, s'étiole peu à peu pour céder sa place à un univers mou et fait de douceur. Le contraste des textures et des saveurs, jadis apprécié des consommateurs, ne fait plus partie des priorités : le produit doit être facile à manger, ne nécessitant pas ou peu d'effort de mâche. Certains vont même plus loin : interrogée par le média d'information BFM TV, une cliente a déclaré que "ceux qui aiment la baguette trop cuite sont juste en dépression et détestent la douceur"... de quoi laisser songeur des générations entières de mangeurs de pain ainsi que des professionnels engagés.

Le goût du pain blanc, des origines profondes

Chacun a son explication pour cette évolution, qui semble à présent irrémédiable : goût du pain blanc développé en raison des standards imposés par la grande distribution, idées reçues sur le fait qu'une plus faible cuisson permettrait de conserver les produits plus longtemps, ... mais les raisons pourraient être plus profondes et tenir dans une évolution des cultures et de l'éducation.
En réalité, tout commence à la naissance : d'après une étude réalisée en 2017 par des chercheurs du College of William & Mary à Williamsburg (USA), les jeunes enfants sont biologiquement prédisposés à se tourner vers des aliments sucrés... tout en évitant les saveurs amères. Saveurs qui se concentrent sur la croûte quand il s'agit du pain, puisque la réaction de Maillard aboutit à une caramélisation des sucres, plus ou moins marquée en fonction du degré de cuisson.
Dès lors, si aucun effort n'est mené pour introduire le pain à croûte avec une cuisson marquée, l'enfant continuera de se tourner de façon durable vers des propositions moelleuses et douces... à l'image du pain de mie, largement représenté au sein des familles françaises. Pratique et largement disponible en grande distribution, il se conserve plusieurs jours dans son sachet. Ainsi, le pain de mie industriel en France représentait 489,5 millions d'euros de chiffre d'affaires entre avril 2021 et avril 2022 selon Iri. Cette évolution des modes de consommation aboutit à un métissage des cultures, avec une influence anglo-saxonne toujours plus marquée.

Pédagogie et connaissance du produit, deux éléments pour défendre la culture du pain à la française

En boulangerie artisanale, de nombreux chefs d'entreprise ont renoncé à leur mission de pédagogie et se contentent de répondre à la demande de baguettes "pas trop cuites", qui s'agisse de références dites de "pain courant" ou de Tradition française. Les Moulins Bourgeois, installés en Seine-et-Marne (77), avaient mis au point une opération visant à encourager leurs clients à mettre l'accent sur la cuisson du pain en apportant des éléments de communication avec des explications précises sur le plan nutritionnel et organoleptique : plus digeste, plus savoureuse, plus croustillante... la baguette "bien cuite" ne manque pas d'atouts selon le meunier francilien, qui doit oeuvrer dans un marché très concurrentiel où le pain blanc est devenu un standard, en opposition aux régions plus rurales où une partie de la clientèle est restée sensible aux croûtes plus caramélisées. 
Au delà de ces initiatives privées, c'est toute la profession qui pourrait se réapproprier le sujet en l'intégrant à la formation des jeunes : l'analyse sensorielle et la nutrition sont deux éléments clé de l'alimentation. Des entreprises telles que Lesaffre y ont investi, avec la réalisation d'un dispositif nommé "Le pain mot à mot", regroupant les descriptions sensorielles des différents produits commercialisés en boulangerie. Un travail qui devrait fédérer les équipes de vente et de production afin de mieux valoriser les fabrications... et donner envie aux clients de se tourner vers des pains riches en caractère et en croûte.

Un sujet sensible sur les médias digitaux... et dans les fournils

Le débat se prolonge sur les réseaux sociaux, comme en témoigne une photographie publiée récemment sur Twitter. L'internaute vantait les mérites d'une baguette moins cuite face à sa consoeur plus dorée, ce qui lui a valu de nombreuses réactions... prouvant que le sujet continue d'agiter les passions, alors que le savoir-faire et la culture associés à la baguette de pain ont été inscrits au patrimoine immatériel de l'Unesco fin novembre 2022.
Côté fournil, la tentation pourrait être grande de réduire les temps de cuisson face à la crise énergétique : une baguette blanche passe entre 2 et 4 minutes de moins dans le four, ce qui peut représenter un impact non négligeable au fil des fournées. Si la pratique fait l'objet de bien peu de communication de la part de la profession, elle n'en demeure pas moins réelle, avec des effets réels sur la qualité des produits finis. Un choix que n'ont pas adopté des réseaux de boulangerie tels que Ange, qui propose en permanence 3 gradients de cuisson au sein de ses 230 points de vente "nos 30 moniteurs réseau sont sur le terrain au quotidien pour partager avec les équipes le goût de la juste cuisson, qui permet d'obtenir un produit savoureux et croustillant" indique Mélanie Kervoern, directrice marketing et communication de l'enseigne "nous réalisons un travail important pour transmettre à nos collaborateurs et franchisés une vision précise du pain de qualité, tout en développant des standards rigoureux de cuisson sur les 3 gradients que nous proposons chaque jour en boutique". Preuve de l'attachement d'Ange au pain à croûte, l'entreprise avait fait appel à l'expert Steven Kaplan pour présider le jury du "Meilleur Apprenti Boulanger Ange" en 2022. Ce célèbre historien du pain a ainsi pu transmettre aux plus jeunes son attachement au pain "croustillamment cuit", qu'il défend depuis de nombreuses années.