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CONCURRENCE

Michel-Edouard Leclerc veut "casser la gueule à l'inflation" : un problème pour la filière blé-farine-pain

La guerre est déclarée. Après sa baguette à 29 centimes, le médiatique représentant de l'enseigne de distribution Leclerc veut continuer à asseoir son image de défenseur du pouvoir d'achat des ménages. Pour lui, certains industriels ont profité de la séquence d'inflation pour accroître leurs marges. A l'occasion des négociations commerciales annuelles, avancées à janvier au lieu de mars habituellement, plusieurs d'entre eux continuaient de demander à l'enseigne des hausses de prix d'achat de l'ordre de 6 à 8%. Une position inentendable pour Michel-Edouard Leclerc, qui a témoigné le 2 janvier dernier sur le plateau de France 2 de sa volonté de "demander des baisses de prix, de la déflation", tout en prévenant "Ca va crier dans les box (les box de négociations étant les espaces où se rencontrent les représentants des enseignes et des fournisseurs, N.D.L.R.)". 

Avec un certain sens de la formule, le fameux épicier de Landerneau a été plus direct "On va aller casser la gueule à l'inflation, et on va arriver avec une inflation, je pense, - fin janvier, début février - qui sera au moins moitié moins que l'année dernière.". Pour y parvenir, les cibles sont très claires "Il y a des marchés de matières premières comme celles des céréales ou du café où cela a bien baissé. On parle du prix des pâtes, on parle du prix de la farine.". En bref, les secteurs de la meunerie, de la viennoiserie, de la pâtisserie ou de la panification seront particulièrement ciblés par des acheteurs déjà réputés pour être féroces. 

Une filière en danger face à une approche aggressive

Cette posture se révèle problématique pour les différents maillons de la chaine allant du grain au pain. En effet, si les cours des céréales et notamment du blé ont reculé ces derniers mois, la rémunération des agriculteurs pourrait se révéler insuffisante pour couvrir les coûts de production, qu'il s'agisse des intrants, carburants ou de la masse salariale. Au delà des cours fixés sur les marchés, ces acteurs bénéficient de primes versées pour des critères de qualité ou l'engagement dans des filières vertueuses (CRC, Bio...). Leurs partenaires seront-ils toujours aussi enclins à participer à cette dynamique s'ils se trouvent eux-mêmes placés sous la pression des distributeurs ? Les entreprises de meunerie fournissent en effet, pour la plupart, les industriels et la grande distribution en plus de leurs clients artisans. Or, malgré l'accalmie observée sur les achats de matière première (cette dernière étant variable en fonction de la couverture de chaque entreprise, ce qui peut ralentir la baisse des prix d'achat), la farine continue de coûter particulièrement cher à produire "Il est important de noter que le prix du blé n'est qu'une composante du coût de la farine" rappelait l'Association Nationale de la Meunerie Française dans sa lettre d'information de septembre 2023, laquelle détaillait l'environnement économique de la meunerie. Ainsi, la marge brute de la meunerie sur le prix de la baguette -hors prix du blé- a chuté de 52% entre 2017 et 2022, se stabilisant au niveau historiquement bas de 0,12 centimes par kilo de baguette vendu au détail. Face à l'attitude des distributeurs, les meuniers pourraient être tentés de récupérer de précieuses marges, indispensables à l'investissement... du côté de la filière artisanale. Il est à noter que plusieurs hausses de prix ont déjà été imposées aux boulangers indépendants, sans retour en arrière à date, même si certains fournisseurs ont repris l'offensive commerciale sur le terrain afin de capter de nouveaux clients.

Pour le consommateur final, un tel discours simpliste laisse entendre que les augmentations de prix, observées notamment sur le pain, ne seraient pas pleinement justifiées. En bref, les artisans pourraient eux aussi consentir des efforts sur leurs tarifs. Il entretient également l'idée qu'il serait possible de proposer de la farine en petit conditionnement (type 1 ou 5 kg) à des tarifs inférieurs. Or, une grande partie de l'offre proposée en rayon est importée d'Allemagne pour des questions de coût, nos voisins germaniques étant beaucoup plus compétitifs sur ce marché. La difficulté est désormais d'imposer la réalité des faits et le vécu de la filière : dans ce véritable champ de guerre qu'est la scène médiatique, la voix des producteurs et industriels peine à se faire entendre face à des discours populistes, entretenant une inutile défiance.

Photographie de Michel-Edouard Leclerc prise par ActuaLitté en 2015 et placée sous license Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic