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FILIERES

Colère agricole : pourquoi la boulangerie-pâtisserie est directement concernée

La révolte grogne dans les campagnes, avec un risque de contagion chaque jour plus marqué. Ce phénomène est la conséquence d'une situation où le monde agricole se trouve soumis à des normes toujours plus contraignantes, alors même que leur niveau de rémunération valorise mal leur niveau d'implication au service d'une alimentation saine et sûre. On observe ainsi un taux de suicide particulièrement inquiétant au sein de la profession - le plus élevé parmi l'ensemble des secteurs - ainsi que de nombreuses cessations d'activité sans reprise, ce qui réduit mécaniquement le nombre de fermes sur le territoire français. A terme, c'est une problématique majeure de souveraineté alimentaire qui se dessine, touchant également la filière blé-farine-pain sur plusieurs de ses produits.

L'expression de difficultés toujours plus nombreuses

La contestation s'exprime bien au delà de nos frontières : c'est tout d'abord outre-Rhin que les agriculteurs allemands ont lancé un mouvement de contestation, lié notamment à la suppression d’avantages fiscaux sur le diesel agricole. Qu'il s'agisse de blocages de centre-ville ou d'autoroutes, les opérations engagées ont exprimé un vif sentiment d'incompréhension et d'abandon, marquant la fracture entre les populations urbaines et rurales. Espagne, Italie, Pologne... des problématiques similaires deviennent désormais visibles partout en Europe. 
L'agriculture doit en effet faire face à de nombreux défis : non seulement elle doit être en capacité de nourrir une population nombreuse, mais il lui est désormais demandé de le faire en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre de façon drastique... le tout dans des conditions climatiques de plus en plus dégradées, avec des intempéries ou vagues de chaleur fréquentes, à l'image des phénomènes observés récemment dans le Nord de la France. Souvent stigmatisé pour ses méthodes considérées comme peu vertueuses par une partie des leaders d'opinion, le monde agricole, représenté notamment par la filière céréalière, a pourtant intégré la mise en oeuvre de transformations positives dans les champs depuis plusieurs années. Ainsi, non seulement les filières vertueuses (CRC, Bio, ...) se sont développées, mais l'ensemble des acteurs de la filière ont imaginé de nouvelles solutions pour répondre aux enjeux de l'époque. 

Des approvisionnements français remis en cause face à l'inflation

La charge mentale imposée à ces femmes et hommes devient progressivement insupportable. Ces derniers font en effet office de variable d'ajustement pour le secteur de la distribution, engagé dans un véritable bras de fer avec les acteurs de l'amont depuis le début de la séquence d'inflation en cours : pour répondre aux exigences des consommateurs, le prix de l'alimentation devrait demeurer anormalement bas. Cela se concrétise notamment par les tarifs pratiqués en boulangerie, qui peinent à progresser : les boulangers doivent faire en effet faire face à la vive réprobation du public dès lors qu'ils augmentent le prix de produits emblématiques, tels que la baguette ou le croissant. L'inflation en boulangerie est demeurée bien plus basse que dans les autres métiers de l'alimentaire et les opérateurs sont alors contraints de mettre en oeuvre des choix discutables quant à leurs approvisionnements en matières premières : si la farine demeure 100% française dans la plupart des cas, c'est bien moins vrai pour les autres matières premières agricoles. Fruits, légumes ou viandes importés, l'orthodoxie en gestion devenue primordiale aux yeux de nombreux chefs d'entreprises a des conséquences mesurables sur l'environnement qui entoure la boulangerie-pâtisserie : chaque choix a des externalités positives ou négatives, et celui d'affirmer - ou non - sa solidarité vis à vis des filières agricoles françaises également. Adopter des pratiques similaires à celles de la grande distribution, avec une priorisation du prix et un effort de négociation permanent, aurait des effets dévastateurs. Ces problématiques s'observent dès à présent pour les produits laitiers, avec des pénuries chroniques en beurre français : les volumes de collecte ne suffisent plus à couvrir la demande du fait de la contraction continue de ces derniers, de nombreux éleveurs laitiers faisant le choix de jeter l'éponge en raison de cours désespérément bas. A terme, non seulement le beurre français pourrait devenir un produit de luxe, coûteux et rare, ce qui contraindrait les artisans à se tourner vers d'autres origines ou à proposer des viennoiseries tout aussi élitistes.
Peut-on imaginer un risque de propagation des pénuries à la filière céréalière ? Pas dans l'immédiat, puisque cette dernière demeure excédentaire (avec des capacités d'export), et que les cours mondiaux ont apporté une bouffée d'oxygène à l'ensemble des opérateurs de l'amont (coopératives et agriculteurs en premier lieu). Cependant, les problématiques rencontrées vis à vis de la ressource hydrique posent question sur les rendements dans des bassins de production tels que le Sud de la France, où les sécheresses deviennent chroniques, mais aussi dans le Nord du pays, avec des innondations marquées au sein de départements tels que le Pas-de-Calais. 

A moyen et long terme, refuser de s'inscrire dans une logique de responsabilité et de pédagogie vis à vis du consommateur aura des effets de bord qui renforceront les difficultés rencontrées par les artisans boulangers. La poursuite de la réduction de la part dévolue à l'alimentation dans le revenu des ménages (avec une réorientation vers les loisirs, notamment) impliquera une inévitable diminution de la consommation au sein des commerces de proximité, considérés comme trop onéreux par un public peu sensible aux enjeux liés à la préservation de filières locales. L'éducation à ces sujets devient de plus en plus cruciale pour la pérennité de filières entières, et la prise de conscience sur le sujet demeure timide malgré les initiatives engagées dans ce sens. Le plus complexe sera sans doute de parvenir à pacifier la relation entre les sujets économiques, environnementaux et sociaux, chacun d'entre eux ayant une forte tendance à prendre l'ascendant sur l'autre. Pour y parvenir, il faudra miser sur une culture renouvelée du collectif, reconnectant la fourche à la fourchette. Un travail long, complexe mais nécessaire.