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TERRITOIRES

Les nouveaux visages de la boulangerie urbaine

Publié le 28/09/2023
e5 bakehouse à Londres © e5 bakehouse

« Tous les réseaux finiront par arriver en centre-ville » : en juillet dernier, François Bultel, le charismatique cofondateur du réseau Ange nous exposait une vision qui pourrait laisser envisager une nouvelle bataille du pain au cœur des zones urbaines. En définitive, l’entrée de nouveaux acteurs dans des zones, jusqu’alors dévolues aux boulangers traditionnels, pourrait accélérer les mutations déjà en cours au sein de ces commerces devenus de véritables lieux de vie.

Marie Blachère avait son enseigne « Café de Marie » pour pénétrer les zones urbaines et de passage, Ange aura en fin d’année sa vitrine en plein cœur de Paris, en plus du développement d’un format « coffee-shop » déjà amorcé avec une ouverture sous l’enseigne Ange Coffee à Narbonne (11) début juillet... avant l’apparition de nouveaux concepts au sein d’autres enseignes. Jusqu’alors qualifiées de « boulangeries de rond-point », ces entreprises démontrent leur capacité à adapter leur format pour l’inviter en centre-ville « Notre force est de parvenir à déployer des produits réguliers et identiques sur l’ensemble du territoire. Tous les réseaux finiront par arriver en centre-ville, ce qui ne signifie pas pour autant que les boulangers traditionnels sont appelés à disparaître : s’ils proposent une offre unique et qui fait la différence, nous sommes très complémentaires », détaille François Bultel. Un point de vue que ne partageront pas de nombreux artisans, y voyant une concurrence supplémentaire. « J’étais propriétaire d’une boulangerie baptisée la Gerbe d’Or, rue de Ponthieu, en plein cœur du 8e arrondissement parisien. Quand Paul est arrivé avenue Franklin Roosevelt (à proximité, N.D.L.R.), cela m’a incité à remettre en question mes produits et à former mes équipes. Finalement, mes vendeuses se demandaient si l’enseigne s’était réellement installée puisque le trafic avait augmenté en boutique », au-delà du caractère souriant de cette anecdote, racontée par Dominique Anract, elle met en lumière l’accélération des transformations qu’engendre l’arrivée de nouveaux acteurs. 

La boulangerie invente le coffee-shop à la française

Il suffit de regarder l’exemple d’entreprises développées outre-Manche pour imaginer ce qui pourrait préfigurer l’avenir des boulangeries en zone urbaine : à Londres, des artisans tels que Gail’s Bakery ou e5 bakehouse ont très tôt misé sur une ambiance particulièrement conviviale, où des pains fermentés au levain naturel côtoient toutes sortes de gourmandises généreuses (cakes, cookies, tartes rustiques...) et en-cas salés autour du pain et du savoir-faire associé au four ainsi qu’à la maîtrise des pâtes. e5 est parvenu à prouver que cette approche de la boulangerie moderne et intégrée à la ville, n’était pas incompatible avec un engagement de filière, porté par l’acquisition d’une ferme et la présence d’un moulin fabriquant une farine fraîche à partir des grains cultivés dans la « Fellows Farm » du comté de Suffolk. 

En France, le développement de cette tendance marque la fin progressive des « boulangeries bijouteries » plébiscitées au début des années 2010 : ce rapprochement avec l’univers des coffee-shops achève d’en (re)faire des lieux conviviaux, au décor chaleureux et participant à une meilleure intégration du commerce dans son environnement local. Matériaux bruts, utilisation du bois, mobilier chiné... cette nouvelle génération de boutique emprunte de nombreux éléments à l’univers industriel, comme le font beaucoup de coffee-shops indépendants, ce qui permet de marquer une différence nette avec les grandes enseignes dont les agencements sont standardisés. De plus, si la consommation sur place s’installe dans les habitudes, l’esprit coffee-shop permet de l’intégrer avec un espace contraint, sans nécessiter de développer une salle proche de celle d’un restaurant. Les pionniers de cette approche « décomplexée » s’appellent Benoît Castel ou Ten Belles Bread à Paris, Pétrin Couchette ou Ferments Bakery à Marseille, la Maison Arlot Cheng à Nantes... On y retrouve, comme fil conducteur, la volonté de proposer des pains au levain naturel issu de farines finement sourcées et des  gourmandises « simples et sincères » axées autour des produits de saison. Loin d’être réservé à de seuls artisans indépendants, ce positionnement inspire également des entrepreneurs aux grandes ambitions, à l’image de Maxime Lefebvre. À la tête de l’enseigne Mamatte, l’artisan a récemment inauguré ses deux premières implantations lilloises qui cochent, avec leur promesse « boulangerie café » et une ambiance visant à « chouchouter les clients », de nombreuses cases les rapprochant de ces tendances.

 

Les boissons chaudes, un nouveau marqueur de la boulangerie moderne

Longtemps négligées, voire absentes en boulangerie, les boissons chaudes ont pris une place privilégiée dans l’offre développée par les artisans : elles permettent d’accroître l’attractivité du point de
vente pour des temps forts tels que le petit-déjeuner, ainsi qu’en accompagnement du déjeuner.
La qualité de ces boissons et la diversité des références proposées s’imposent à présent comme indispensables pour répondre aux exigences de la clientèle.

Plébiscités par de nombreux professionnels, les cafés Nespresso ont fait une entrée remarquée dans le secteur de la boulangerie il y a plusieurs années grâce à la diversité des machines professionnelles proposées par la marque, en plus d’assurer au chef d’entreprise une forme de reconnaissance positive et naturelle chez ses clients. Signe des temps, le partenaire historique des brasseries et débits de boissons qu’est Cafés Richard pénètre ce marché en croissance avec une offre pléthorique, allant du café en grains aux pods, en passant par les déclinaisons gourmandes que sont les lattes et cappuccino, avec le renfort d’une machine dédiée (baptisée Lattiz, développée par FrieslandCampina). Même constat chez son confrère Cafés Folliet, qui a adopté un positionnement similaire.

Toutefois, l’attente de différenciation toujours plus marquée au sein de la clientèle pourrait ne pas être satisfaite par une offre aux saveurs standardisées. C’est pourquoi des artisans misent à présent sur des partenaires très engagés, à l’image de Poilâne, qui a déployé au sein de deux de ses adresses parisiennes (rue de Lévis et rue Debelleyme) une offre mise au point avec le torréfacteur Coutume Café. Ces cafés dits « de spécialité » renforcent la légitimité de la boulangerie sur l’offre coffee-shop. À Marseille, la jeune boulangerie Ferments Bakery en a fait un élément clé de son positionnement, aux côtés de ses pains au levain naturel. Les deux produits étant liés par la fermentation, ils se complètent harmonieusement et valorisent le savoir-faire du boulanger et celui du barista, devenu indispensable pour assurer la qualité des boissons au quotidien. Chez Ferments, la sélection est renouvelée fréquemment et fait la part belle à des marques engagées telles que Terres de café ou KB Coffee Roasters. Des ateliers sont également organisés pour initier le grand public aux spécificités de cet art délicat. Côté chocolat chaud, un marqueur naturel de l’offre pâtissière, Valrhona a commercialisé début 2022 une solution baptisée Ground Chocolate, qui facilite la mise en œuvre de ces boissons gourmandes avec des couvertures pure origine aux saveurs singulières.