Vison
2024 : une année sous le signe des transitions
Approfondir les mutations malgré les remous. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la position engagée par une grande partie de la filière blé-farine-pain, touchée de plein fouet depuis plus de trois ans par des crises de grande ampleur. Face à ces défis, la pire des stratégies serait l’immobilisme et le repli sur soi… deux options écartées face à la montée en puissance de nouvelles tendances de marché et de consommation, qui continueront de se déployer dans les années à venir. 2024 pourrait ainsi être une épreuve pour certains, leur structure ayant été lourdement fragilisée. Pour d’autres, l’année s’inscrira dans le prolongement de la transition vers un modèle plus durable, des approvisionnements aux modes de vente.
Les tendances d’un marché aussi vaste que celui de la boulangerie-pâtisserie sont aussi nombreuses que complexes à appréhender : non seulement elles peuvent s’opposer entre elles en fonction des acteurs les portant, mais elles ne sauraient remplacer l’indispensable connaissance que doit posséder chaque entrepreneur de son environnement local.
En effet, ces tendances répondent à des attentes variant en fonction de la zone géographique, de la culture ou même de la catégorie socio-professionnelle de la clientèle… ce qui nécessite de mener un délicat exercice d’équilibriste pour bâtir sa propre approche, tout en restant connecté aux nouvelles évolutions de la société.
Rationalisation des gammes et des pratiques de gestion pour pérenniser l’activité
Le temps de l’inflation incontrôlée du nombre de références en boulangerie-pâtisserie est-il révolu ? Tout le laisserait à penser : ce mouvement de contraction des assortiments dépasse de loin le seul secteur du pain, puisque les grands distributeurs français ont engagé la manœuvre depuis plusieurs mois. Ainsi, selon Circana, le nombre de références aurait été réduit de 3 à 4 % en moyenne en un an sur ce circuit.
Cela s’explique notamment par l’inflation, qui a ralenti la consommation des ménages, mais également par une nécessité de raisonner l’offre après un mouvement inverse observé pendant plusieurs dizaines d’années.
Dans les fournils, la logique trouve un sens et concrétise des efforts devenus indispensables sur la gestion des entreprises artisanales : simplification des achats et de la production, perspectives de réduction du gaspillage alimentaire… et rétablissement d’une exploitation bénéficiaire, donc durable. « Le calcul du coût de revient doit devenir un élément fondamental du développement d’un produit, et il doit toujours servir de base pour définir un prix de vente », détaille Guillaume Philipson, cofondateur d’Otami.
La jeune entreprise paloise accompagne les artisans dans cet effort au travers d’une solution efficace et accessible, apte à traiter de façon automatique les factures des fournisseurs pour conserver une visibilité permanente sur la marge de chaque référence.
« Nous avons à cœur de conseiller nos clients pour faire évoluer leurs pratiques : en identifiant les produits à faible ou forte marge, ils peuvent adapter leur marchandisage pour gagner en rentabilité. »
Première action à mener : définir des fiches recettes précises, intégrant les quantités de chaque ingrédient. Ensuite, Otami peut se connecter à de nombreux systèmes d’encaissement pour renforcer cette action et offrir à chaque boulanger des données précises sur la situation de son entreprise, sans attendre le bilan, pour actionner très tôt les actions nécessaires le cas échéant.
« Il est fondamental d’adopter de nouvelles méthodes pour imaginer l’avenir de la boulangerie-pâtisserie artisanale : faire des choix dans les produits proposés, en se basant sur des indicateurs fiables et objectifs, s’inscrit dans cette logique », conclut le dirigeant.
Rationalisation ne signifie pas pour autant perte d’attractivité commerciale : de bonnes pratiques peuvent être mises en place en boutique afin de préserver le taux de remplissage des vitrines perçu par les clients, ainsi qu’une rotation entre les différentes saveurs et références au fil des saisons afin de renouveler le plaisir de la découverte.
La RSE n’est plus une option mais une stratégie naturelle et durable
Depuis le 1er janvier 2024, les professionnels, autant que les particuliers, ont l’obligation de procéder au tri de leurs déchets verts et alimentaires. Les invendus inaptes à la commercialisation, ratés de productions et autres chutes de découpe sont donc concernés par cette mesure, ce qui impose de mettre en place de nouvelles procédures en boutique comme au laboratoire.
Cette nouvelle obligation réglementaire, prévue dans la loi AGEC et le droit européen, renforce la nécessité pour les boulangers-pâtissiers d’intégrer la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans leur quotidien et, plus encore, dans leur stratégie. Pour y parvenir, de nombreux leviers sont à leur disposition : amplification de la sobriété énergétique, lutte contre le gaspillage alimentaire, réduction du plastique à usage unique et plus globalement des emballages… autant de sujets traités dans le
@&Guide d’accompagnement à la transition écologique, coconstruit par la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB) et le Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR) et disponible en téléchargement libre sur le site entreprisesboulangerie.org. Le réemploi et la stratégie 3R (réduction, réemploi, recyclage) demeurent encore négligés par de nombreux artisans boulangers-pâtissiers. Ces derniers devront accélérer la transformation de leurs pratiques en 2024 pour contribuer à atteindre l’objectif d’une réduction de 20 % des emballages plastique à usage unique inscrite dans la loi AGEC pour le 1er janvier 2025, avec des conséquences directes sur l’offre de snacking.
Plus largement, la mise en œuvre d’emballages réutilisables devra se déployer également sur les produits de boulangerie, de viennoiserie ou de pâtisserie. Des start-up françaises, telles que MadameZeFrench (avec sa boîte BentOgatO), les Extra-Ordinaires (sacs à pain en lin fabriqués en Anjou)…, se sont déjà positionnées sur ce marché naissant.
La montée en puissance du blé dur (et des farines « alternatives »)
Jusqu’à présent, le blé tendre était au cœur de la plupart des recettes de pain issues de la tradition boulangère française, avec des incorporations éventuelles de seigle ou, plus occasionnellement, de sarrasin. Les qualités d’autres plantes et céréales sont aujourd’hui mises en avant pour renouveler l’offre en boulangerie, avec l’opportunité de proposer des références plus saines et naturelles grâce à des apports en fibres et nutriments, ou l’obtention de produits moelleux/à longue conservation sans recourir à des additifs alimentaires.
Des atouts mis en avant par les promoteurs de l’utilisation de blé dur en panification, à l’image de Panzani Solutions. La marque, fraîchement née sous l’impulsion du groupe éponyme, a développé une offre de solutions visant à déployer la céréale dans de multiples applications de boulangerie-viennoiserie et pâtisserie : bien au-delà du couscous ou des pâtes, cette matière première au taux de protéines élevé (de l’ordre de 14 % au lieu des 11 à 12 % pour du blé tendre) offre des perspectives variées aux artisans et transformateurs de la filière : produits différenciants à la vive couleur jaune, forte hydratation, réduction des taux de sucre ou de matière grasse dans les produits de viennoiserie… autant d’aspérités qui correspondent aux attentes du marché, et pour lequel l’industriel a développé une gamme complète de préparations et une offre de services, notamment déployée au sein de son Durum Center de Gennevilliers (92).
Pour l’aspect nutrition, le quinoa ou les légumineuses (pois chiche, haricots…) ont des atouts encore inexploités, mais leur intégration demeure cependant freinée par la difficulté à obtenir des résultats probants en goût ou en texture, avec des saveurs parfois très marquées et une altération de la structure de mie liée à l’absence de gluten dans ces farines.
Hybridation des concepts et des cultures culinaires : vers une disparition des frontières entre métiers et pays
Les boulangers pensaient avoir fait leur part dans la transformation du visage de leurs offres et points de vente : avec le développement de la restauration rapide, ils ont massivement fait muter leur identité au cours des quinze dernières années, allant parfois jusqu’à placer le pain et les produits associés en second plan.
Cela pourrait n’être en définitive que la première étape d’une évolution majeure, faisant de la boulangerie un lieu de vie hybride où les raisons de visite seraient particulièrement diverses, pouvant être éloignées de la vocation initiale de ces commerces : boissons chaudes, restauration assise… avec une offre renouvelée, faisant la part belle aux dernières tendances observées dans les assiettes des consommateurs. Ainsi, le Gira estime à 19 % le volume de pâtisseries d’inspiration américaines sur le total des douceurs sucrées consommées à l’échelle européenne (ces dernières représentant elles-mêmes 11 % du marché total de la boulangerie-viennoiserie-pâtisserie (BVP) en Europe en 2023).
Donuts, cookies, muffins… peu à peu, les vitrines se métissent pour développer une forme d’alimentation « globale ». Cela concerne tout autant la gamme salée, comme en témoigne le caractère désormais incontournable du burger, de la pizza et l’apparition plus récente d’autres propositions comme le poke bowl ou même le tacos dans certaines enseignes nationales.
Miser sur une efficace authenticité en modernisant les classiques
Les consommateurs français plébiscitent les produits issus de la tradition boulangère ou pâtissière : un sondage réalisé par OpinionWay pour le compte du Salon de la Pâtisserie au printemps dernier témoignait une fois encore de ce fait, avec une préférence marquée pour les tartes (40 % des personnes interrogées), les éclairs ou religieuses (36 %) mais aussi le mille-feuille (31 %). Parmi ces références, le flan rassemble un nombre croissant d’adeptes : réconfortant, facile à déguster, peu onéreux… il coche de nombreuses cases d’une pâtisserie toujours accessible et gourmande.
Désormais, les professionnels peuvent moderniser ces recettes, avec la nécessité de maîtriser finement le coût de revient de chacune d’entre elles. Les matières grasses végétales apportent des solutions efficaces sur cet aspect, tout en préservant le goût et la texture de chaque préparation… à l’image de la recette du flan coco mise au point par les équipes de Vandemoortele sur une base de pâte feuilletée réalisée avec le mélange de beurre St-Allery Revolution et de crème pâtissière confectionnée avec le Risso Chanty Duo.
Cette recette est à retrouver sur le site internet lelab-vandemoortele.com, aux côtés de nombreuses autres inspirations sucrées. Côté salé, même logique, si ce n’est que l’effort de modernisation doit également toucher les aspects de la nutrition, sur lesquels les consommateurs expriment de plus en plus d’exigences.
Un rapport réalisé par Profacts en janvier 2022 nous dévoilait que 83 % des Français sont sensibles à l’allégation « source d’Oméga 3 », rappelant l’importance de mettre en œuvre des matières premières apportant ce type d’acide gras lorsque cela est possible. La viennoiserie salée, qui compte parmi les éléments en vogue du marché du snacking, peut désormais se trouver renforcée de leurs bienfaits grâce à des produits tels que St-Auvent Tourage Oméga 3, présent au catalogue de Vandemoortele. Là encore, les équipes de l’entreprise ont imaginé une recette aussi équilibrée que gourmande : le pain suisse au jambon et au pecorino, dévoilé sur le site du Lab (voir adresse ci-dessus), peut ainsi bénéficier des outils mis à disposition par la marque pour valoriser en boutique l’argument « source d’Oméga 3 » (affichette, sticker vitrine, guide de vente, support de comptoir…).
Développer son activité grâce à la livraison et à la digitalisation de l’expérience client
La livraison demeure une activité peu adoptée par le secteur de la boulangerie-pâtisserie : pour l’heure, elle est majoritairement l’apanage des marques nationales, qui sont seulement 17 % à proposer le service, alors que ce taux atteint 65 % au sein des chaînes de restauration (source Food Service Vision, 2023). Cette activité est plébiscitée par les jeunes : 78 % des moins de 25 ans commanderaient au moins une fois par mois, contre un Français sur quatre en intégrant l’ensemble des catégories d’âge.
Cependant, l’offre de livraison est largement dominée par les plateformes telles que Deliveroo ou Uber Eats, qui imposent des commissions élevées à leurs partenaires et les coupent de toute relation directe avec les clients : ces entreprises de la « tech » deviennent ainsi propriétaires des données et s’imposent comme des outils incontournables pour toucher des profils devenus « accros » à la livraison. Le rêve de voir son pain ou son croissant frais livrés à domicile a un coût : en plus des frais facturés aux utilisateurs par les prestataires, la plupart des artisans présents sur ces plateformes se voient contraints de pratiquer des tarifs supérieurs à ceux proposés en boutique.
Au sein même des points de vente, l’expérience client se digitalise également : si les bornes de commande s’y font encore discrètes pour l’heure, certains acteurs du marché ont acté leur déploiement.
En 2024, le réseau de boulangeries Ange installera 100 de ces équipements sur son parc de magasins, fort d’expérimentations réussies au cours des derniers mois. « Sur les premiers points de vente équipés, un client sur deux se dirige immédiatement vers la borne à l’heure du déjeuner », témoigne François Bultel, dirigeant de l’enseigne. Les habitudes prises au sein des enseignes de restauration rapide encouragent cette mutation du visage des boutiques, même si la pratique semble adaptée à des entreprises où le snacking est devenu une activité majeure… avec toujours le risque de déshumaniser la relation entretenue entre les clients et leur boulanger, dont la mission vis-à-vis du maintien du lien social demeure centrale.