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Les artisans explorent de nouveaux formats

Publié le 19/01/2024

Le commerce est souvent résumé à deux éléments : le produit, ainsi que la prestation associée, et l’emplacement. Ainsi, le succès d’une entreprise artisanale résiderait en sa capacité à additionner ces composants afin de garantir la visibilité d’une offre qualitative… ce qui devient sans cesse plus complexe : non seulement le prix des fonds de commerce et les investissements à réaliser peuvent peser (très) lourd pour des artisans indépendants, mais l’aspect humain manque également pour exploiter sereinement, avec une totale régularité, le point de vente. De quoi inciter des entrepreneurs ambitieux à développer des concepts aptes à rendre leur savoir-faire accessible au plus grand nombre.

Dans notre numéro de septembre dernier, nous abordions plusieurs exemples de boulangers ayant pensé leur métier « hors les murs ». Cette approche se concrétise également par la mise en place de distributeurs automatiques, à l’image des machines chargées de vendre des baguettes en dehors des horaires d’ouverture de la boulangerie ou pour étendre la zone géographique d’action d’un artisan.

Si les équipements se sont répandus au sein du territoire français (avec le concours de fournisseurs tels que maBaguette, LeDistrib, Panivending…) ils ne constituaient en définitive qu’une première étape dans l’apparition de points de contact automatisés : la baguette ne représente qu’une part limitée de l’offre développée par un boulanger, même si elle demeure l’un de ses produits les plus emblématiques. Dès lors, il fallait imaginer des outils aptes à proposer de plus larges typologies de produits, aussi bien en température ambiante que contrôlée (en froid positif généralement).

Mon boulanger est une machine

Distri’Click, une division du fournisseur de machines de boulangerie Bourmaud Équipement, s’est spécialisée dans la mise au point de distributeurs automatiques personnalisables, aptes à proposer tous types de pains, mais aussi des pâtisseries, produits traiteur ou d’épicerie. Jusqu’alors, les solutions développées par l’entreprise avaient plutôt séduit des restaurateurs, bouchers ou producteurs locaux cherchant à étendre leur capacité à vendre sans investir dans de nouvelles boutiques. Installés depuis avril 2021 à Pommeret (Côtes d’Armor, 22), Marie et Frédéric Rat ont franchi un cap et ouvert la voie à une approche profondément renouvelée de leur métier : leur boutique Délices des Anges a changé de visage pour passer en mode 100 % automatique.

Le couple justifie ce virage par les nombreux défis auxquels doit faire face la boulangerie artisanale. « Nous avons dû nous réinventer et faire des choix différents pour perdurer », résument-ils, conscients malgré tout des réactions parfois épidermiques de la clientèle face à la suppression totale de la présence humaine en boutique et, par la même occasion, du vecteur de lien social qu’est traditionnellement une boulangerie.

« Nous comprenons que cela puisse susciter des réticences et nous sommes conscients des modifications que ça implique sur vos habitudes de consommation. (…) Notre commerce est bien plus qu’un simple lieu d’achat, c’est pourquoi, grâce à vous, la boutique restera un lieu de rencontres, d’échanges et de convivialité ! », tentaient d’expliquer les gérants sur les réseaux sociaux de l’entreprise.

Le laboratoire reste cependant positionné au même lieu, avec la possibilité de passer commande pour des événements spéciaux. Au-delà du relationnel, les habitudes des clients peuvent être bouleversées : les produits étant préemballés et proposés dans des formats excluant potentiellement des personnes seules (ex. pâtisseries conditionnées par deux), l’insatisfaction peut rapidement se développer. Pas de quoi inquiéter ces entrepreneurs, déjà rompus à l’univers de la distribution automatique : ils étaient déjà équipés de machines proposant pizzas, burgers et baguettes, aussi bien à côté de leur boutique qu’en mode déporté.

La première pâtisserie autonome de France, fruit du travail d’un trio d’« artisans décomplexés »

Les pâtissiers s’emparent également du phénomène, à l’image d’Estelle et Nicolas Haelewyn, un duo frère et sœur accompagnés du chef pâtissier Jean-Baptiste Lelong, tous trois à la tête de l’entreprise francilienne Atelier Gâto. Pour eux, pas question de se défaire entièrement du contact avec leur clientèle : leurs boutiques situées à Guyancourt et Versailles (Yvelines, 78) continuent à propager l’univers gourmand, souriant et coloré imaginé en collaboration avec les artistes Guillaume & Laurie. Forts du succès rencontré par l’entreprise, ces « artisans décomplexés » comme ils se décrivent eux-mêmes, ont cherché à proposer leurs créations à un plus large public. Mi-novembre, ils ont inauguré « la première pâtisserie autonome de France », selon leurs propres mots, dans une structure créée ex nihilo à proximité du magasin Intermarché de Buc (78).

« Ce projet est avant tout une histoire de rencontres », confie Nicolas Haelewyn, qui vient d’emménager dans un nouveau laboratoire situé dans la zone d’activités attenante. Atelier Gâto s’est en effet entouré de Nectar Food Design, une agence spécialisée « dans la création de concepts originaux et gourmands », afin de parfaire l’intégration dans l’environnement local, et de Nature O Frais pour la réalisation de l’outil de distribution en lui-même.

Un nouveau métier pour cette structure habituée d’ordinaire à accompagner des producteurs dans la construction de « drives fermiers », avec un outil se révélant particulièrement efficace pour les pâtissiers.

« Nous disposons d’une visibilité en temps réel sur l’état de la boutique depuis nos smartphones, ce qui permet d’organiser le réassort. » Autre sujet majeur : la gestion de la rotation des produits et le retrait de la vente des douceurs qui auraient dépassé leur durée de vie maximale. « Les casiers se verrouillent automatiquement dans ce cas, garantissant la fraîcheur des pâtisseries, viennoiseries et autres gourmandises (chocolats, macarons) à nos clients. » Les premières semaines d’exploitation sont très encourageantes : « 75 % des clients sont très sensibles à l’intérêt d’un tel mode de vente », se réjouit Nicolas Haelewyn.

La boutique autonome est en effet ouverte tous les jours, de 8 heures à 21 heures : « Cela répond à un vrai besoin, notamment le dimanche après-midi où les clients n’avaient pas d’offre à proximité. Malgré tout, 25 % d’entre eux restent réfractaires au dispositif par principe. À une période où des pâtissiers cherchent à se désengager de la fabrication “maison” et des gâteaux frais, nous faisons le pari inverse en produisant toutes nos créations et bases. » Même si l’investissement matériel est réel, la prise de risque demeure limitée pour la structure : l’équipe s’est réorganisée pour produire ses gâteaux à partager du lundi au dimanche (une signature de l’enseigne, qui propose une carte renouvelée chaque semaine, sans pièce individuelle), sans nécessiter d’embauche supplémentaire à court terme. En fonction du succès de ce nouveau format, d’autres ouvertures sont envisagées.

Du pain et des gourmandises en libre-service : vers une nouvelle expérience de vente

Un modèle intermédiaire se dessine également au travers de la vente en libre-service, mise en œuvre par plusieurs boulangers et enseignes de distribution. Elle répond notamment à la pénurie prégnante de personnel en vente : c’est au final le client qui assume cette fonction, comme il le faisait déjà pour une partie de l’encaissement de ses courses du quotidien.

Si l’on connaît bien le partenariat noué entre Grand Frais et l’enseigne Marie Blachère, le fait que Prosol, la structure de tête du spécialiste du multifrais, développe également son propre concept de boulangerie est moins visible : La Boulangerie du Marché, cette fois adossée à des magasins fresh (autre concept développé par Prosol), propose ses produits fabriqués sur place en libre-service, avec un achalandage minimaliste mais efficace grâce à la proximité induite avec le client, qui se sert grâce à des pinces en métal.

L’intérêt est double pour la marque, présente majoritairement dans la zone Auvergne - Rhône-Alpes - Savoie (avec des implantations à Bonneville [74], Ambérieux d’Azergues [69], Saint-Alban-Leysse [73]…) : l’investissement nécessaire pour aménager l’espace de vente est contenu, tout autant que la masse salariale. En Vendée (85), c’est à l’initiative de la Minoterie Planchot qu’une telle approche se déploie, sous le nom étonnamment similaire de « Au marché du pain ».

Déjà déployé sur cinq sites (Les Sables d’Olonne, La Roche-sur-Yon (2 boutiques), Fontenay-leComte, Challans), le concept « où le client est roi » entend permettre à un boulanger gérant-associé de mettre en avant son savoir-faire grâce à des farines locales et d’offrir un nouveau confort d’achat aux clients : la liberté qui leur est offerte devrait permettre de supprimer le stress induit par l’habituelle file d’attente, tout en favorisant les achats d’impulsion et en augmentant, mécaniquement, le panier moyen.

« Une préférence sur la cuisson, la couleur, la quantité ? Servez-vous et prenez le produit qui vous fait envie ! Observez, sentez, prenez le temps de flâner chez votre boulanger préféré », invite Au marché du pain sur son site Internet. Les clients sont rassurés sur le caractère artisanal des fabrications grâce au fournil vitré et bénéficient d’un agencement soigné, avec des meubles en bois étudiés spécifiquement. Une présence humaine est tout de même assurée pour offrir un conseil personnalisé, notamment sur les différentes formules déjeuner proposées au sein de l’offre snacking.