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MARCHÉ

Imaginer la boulangerie plurielle d’aujourd’hui... et de demain

Publié le 28/09/2023

Pour penser les évolutions du commerce singulier qu’est la boulangerie, ce sont longtemps des concepts abstraits qui ont été développés, se basant sur des tendances de consommation plutôt que sur l’identité des artisans et risquant de créer, à terme, une uniformité dommageable à l’ensemble de la filière. Le renforcement de la concurrence, portée par de nouveaux acteurs dynamiques, et la crise traversée en raison de l’explosion des coûts de l’énergie, pourraient au final générer l’effet inverse. Cela inciterait chaque entreprise à actionner de nouveaux leviers de différenciation et à accroître sa capacité à concevoir une approche renouvelée du métier.


Le concept MUSE présenté lors d’Europain 2020.

En 2020, l’agence Sylvie Amar & Partners, en partenariat avec l’Institut Le Cordon Bleu et les Moulins Viron, avait présenté sur le salon Europain le « FoodConcept » baptisé MUSE : destiné à inspirer la « boulangerie du futur », l’espace avait de quoi désorienter le visiteur. Absence de caisse fixe, remplacée par la présence de « conseillers volants » dotés d’une tablette de commande, mise en avant de produits de saison et/ou issus d’une démarche de surcyclage, déploiement de QR Codes pour obtenir des informations détaillées sur les pains, viennoiseries et autres produits snacking... 

Près de 4 ans plus tard, ces 280 m2 ont-ils réellement préf iguré de l’évolution de la filière, ou bien se sont-ils contentés d’offrir une vision conceptuelle supplémentaire ?
Sur le terrain, l’urgence ne semble pas tant d’inventer une nouvelle forme de boulangerie visant à cocher l’ensemble des marqueurs de modernité de l’époque, mais de faire face aux problématiques frappant les artisans : la concurrence et la hausse des charges (salaires, énergies, matières premières...) qui remettent en question la pérennité des entreprises artisanales. « Nous avons déjà connu l’arrivée de nouveaux concurrents tels que la grande distribution ou des enseignes nationales, à l’image de Paul », se souvient Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie (CNBPF). Le contexte était alors bien différent, puisqu’à présent ce sont l’ensemble des modes d’exécution des métiers liés à la panification qui sont touchés. « Tout le monde est un peu groggy », décrit prosaïquement Didier Boudy, président de la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB). « Personne n’est calme ou serein et n’affirme que tout va bien. Néanmoins, puisque nous rassemblons des entrepreneurs, ils ont la capacité de voir le verre à moitié plein et la ferme volonté de continuer à se développer, même si les fragilités sont réelles. » 

Face à la hauteur de la vague, l’attachement des Français à la boulangerie et la résilience de la filière ont assuré sa survie 

Au plus fort de la crise énergétique, entre fin 2022 et l’hiver 2023, la situation laissait craindre des défaillances massives au sein de la cohorte des boulangers indépendants, qui comprend de nombreuses entreprises de petite à très petite taille. Ainsi, selon le cabinet Altares, 874 boulangeries artisanales sont entrées dans une procédure judiciaire l’an passé, ce qui représente une croissance de 124,7 % par rapport à 2021 et représente la plus forte augmentation sectorielle sur la période. On observait également un doublement des défaillances en janvier dernier, avec 116 procédures, contre 58 à la même période en 2022. « Aujourd’hui, les boulangeries ne ferment plus en raison de leurs factures énergétiques. Grâce au guide de sobriété énergétique que nous avons édité, qui a permis à de nombreux artisans de réaliser 10 à 20 % d’économies sur leurs consommations, aux aides déployées (guichet unique, plafonnement des tarifs de l’électricité...) et à la hausse des prix menée en boutique, les bilans sont préservés », se réjouit Dominique Anract. C’est aussi la fidélité des consommateurs à un produit emblématique du patrimoine gastronomique hexagonal qui a permis cette réussite collective. « Les Français sont fiers de leur pain et du savoir-faire associé », une vision partagée par Didier Boudy : « Nos clients adorent les produits développés en boulangerie, ce qui nous offre encore de nombreuses perspectives. » 

Dominique Anract, « Des messages contre-productifs ont été diffusés au sujet de la situation de notre filière »

L’attention médiatique accordée ces derniers mois à la boulangerie- pâtisserie a permis de sensibiliser le grand public aux difficultés rencontrées par de nombreux artisans... permettant parfois l’expression de discours particulièrement vindicatifs et sombres vis-à-vis de l’avenir de la profession.
« Cela a découragé des jeunes qui souhaitaient s’orienter vers l’apprentissage en boulangerie, qui ne rejoindront pas les centres de formation. La problématique est similaire pour la transmission des entreprises : les repreneurs se font plus rares et les banques se montrent plus frileuses pour accorder des financements. »

Utiliser la tradition boulangère pour dessiner de nouveaux chemins

En capitalisant sur cette force, la filière blé-farine-pain doit à présent écrire une nouvelle page de son histoire. « Le monde change, si l’artisan ne change pas, il va disparaître ! Chaque jour, nos clients jugent notre travail et son adéquation vis-à-vis de leurs attentes », tranche Dominique Anract. La taille ou l’emplacement d’une boulangerie ne suffiront rapidement plus à définir son rattachement à une approche « artisanale » ou non du métier : c’est sa capacité à partager des valeurs et à adopter une démarche cohérente avec ses équipes et ses clients qui lui permettra d’affirmer son positionnement et à exister de façon pérenne dans un marché toujours plus complexe.

Pour cela, le boulanger-pâtissier devra revenir vers une compréhension plus marquée de ses fondamentaux, tout en prenant soin de les traiter avec le regard et l’exigence de l’époque : comment faire du pain plus nourrissant, comment créer des gourmandises durables, comment transmettre une image positive et « humaine » du métier... ?
De quoi refuser l’idée même de concepts prêts à l’emploi et la mise en œuvre de tendances uniformes, masquant la singularité de chaque professionnel. Pour Didier Boudy, cet acte, fondamental d’une volonté de différenciation, finira par toucher l’ensemble des acteurs du marché, peu importe leur taille. « La question n’est pas de savoir s’ils le feront, mais quand. » Au vu de l’urgence des transformations à mener, il faut à présent compter sur le dynamisme d’entrepreneurs déjà fortement engagés dans cette voie. Autant d’approches et d’idées rassemblées dans ce dossier qui permettent, dès aujourd’hui, d’imaginer la boulangerie plurielle de demain.